https://www.jim.fr/e-docs/00/02/AB/C1/carac_photo_1.jpg Publié le 04/12/2018 M.-F. LE HEUZEY,

Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert Debré, Paris

Le sport de compétition est souvent à l’origine de troubles du comportement alimentaire, les enfants et les adolescents n’échappant pas à la règle. Quels autres signes de retentissement psychologiques rechercher et prendre en charge ? Marie-France Le Heuzey passe en revue les comportements qui doivent alerter.

Vignette clinique

Natacha, 13 ans, est de niveau national dans son sport, le « roller acrobatique », qu’elle pratique depuis l’âge de 6 ans. Elle excelle dans sa discipline où elle a franchi peu à peu toutes les étapes. C’est une fille très perfectionniste, qui reste bonne élève scolairement, en dépit des entraînements et des compétitions, et de la concurrence « féroce » avec une autre fille. Au niveau staturo-pondéral, elle s’est toujours développée au-dessus du 75e percentile. Ses premières règles sont apparues à l’âge de 12 ans et demi, elle pesait alors 53 kg. L’entraîneur ne la trouve pas assez « fine » dans la perspective des compétitions européennes et il l’adresse à un nutritionniste pour qu’elle perde du poids.

Natacha applique drastiquement le régime à la fois restrictif et sélectif prescrit. La perte de poids est rapide et spectaculaire : elle passe de 53 kg à 42 kg en 3 mois. À 47 kg, les règles disparaissent. En consultation, elle pèse 42 kg pour 1,58 m ; ses apports alimentaires sont minimes. Elle annonce que la veille elle a bien mangé puis – qu’elle a mangé « une coquille Saint-Jacques et demi ». Elle ressent un manque de force musculaire, l’empêchant de réussir ses sauts acrobatiques et elle a été dispensée de plusieurs épreuves dans les récentes compétitions. À l’ostéodensitométrie, le contenu minéral osseux est tout juste dans les limites de la normale. Toute activité sportive est supprimée. Natacha l’accepte. Ses parents l’acceptent plus difficilement.

Les troubles du comportement alimentaire

Les sportifs sont connus pour être des sujets à risque pour les troubles du comportement alimentaire (TCA) et les études de prévalence montrent qu’il y a plus de TCA chez les athlètes que chez les nonathlètes (13,5 % versus 3,1 %). Et plus précisément, certains sports s’accompagnent plus souvent de TCA que d’autres : les sports où l’athlète est jugé sur son apparence esthétique tels que la gymnastique (GRS), le patinage artistique, la natation synchronisée (+ danse), les sports où la réduction de poids permet d’optimiser les performances tels que la natation, la course de fond, le saut à ski, etc. et les sports qui proposent des catégories en fonction du poids (poids léger, poids lourd) : tels que le judo, l’aviron, etc. En fait, l’ampleur des troubles du comportement alimentaire est difficilement connue car il existe une sous-estimation par les athlètes eux-mêmes de leurs éventuels troubles par crainte d’exclusion de l’équipe, une sous-estimation ou un déni par certains entraîneurs, une recherche de la performance qui peut « nécessiter » l’encouragement à une certaine maigreur.

Le nombre de femmes et de jeunes filles faisant régulièrement de l’activité physique et participant à des compétitions a étonnamment augmenté ces 30 dernières années. Par exemple aux Jeux olympiques en 1900, seuls 5 sports étaient ouverts aux femmes. En 1948 à Londres, les femmes représentaient 10 % des athlètes alors qu’à Londres en 2012 elles en représentaient 44 %. Aux Jeux olympiques de Rio, dans l’équipe française, il y avait 43 % de femmes. Tous les troubles du comportement alimentaire sont possibles : anorexie, boulimie, compulsions alimentaires, vomissements provoqués, prise de laxatifs, restriction hydrique « pour s’assécher », etc La triade de l’athlète féminine a été décrite pour la première fois ” en 1992 par la Women‘s Task force de l’American College of Sports Medicine (ACSM), et a été formalisée en 1997 comme « le syndrome défini par l’association d’un trouble du comportement alimentaire, d’une aménorrhée et d’une ostéoporose ». En 2007 la définition s’est élargie, aboutissant à un spectre de dysfonctionnement dans les 3 domaines : apport énergétique, fonction menstruelle et densité osseuse. Ainsi, la forme d’une athlète peut se situer à différents niveaux entre la disponibilité énergétique optimale et l’anorexie, les cycles menstruels entre le deux extrêmes que sont la régularité d’un côté et l’aménorrhée de l’autre, en passant par un désordre subclinique, et enfin une baisse de la densité osseuse pouvant aboutir à une franche ostéoporose.

Même si le terme de triade de l’athlète féminine est encore souvent utilisé, il est souvent remplacé par celui de « déficit énergétique relatif du sportif » (en anglais : « relative energy deficiency in sports » RDE-S), permettant de souligner que le syndrome peut affecter tous les athlètes, y compris les hommes. La pierre angulaire est l’insuffisance énergétique, quand les apports sont insuffisants pour couvrir les dépenses liées aux entraînements sportifs : cette carence peut être due à un apport insuffisant, un entraînement accru ou la combinaison des deux La récente étude française portant sur 340 athlètes de haut niveau a révélé que 32,9 % d’entre eux souffraient d’un trouble du comportement alimentaire. Dans la population pédiatrique, les jeunes athlètes qui pratiquent un sport à spécialisation précoce comme la gymnastique, la nage synchronisée ou la danse, adoptent rapidement des régimes faibles en énergie pour rester mince et prévenir les effets de la puberté et de façon à garder une apparence enfantine. Des recommandations de dépistage de troubles alimentaires ont été émises par la coalition de la triade de l’athlète féminine (Académie américaine de pédiatrie, [AAP], l’Académie américaine des médecins de famille, [AAFP], et le Collège américain de la médecine du sport, [ACSM]) à l’aide d’un questionnaire à 12 items, dont 7 ont été repris dans les recommandations d’évaluation de préparticipation (PPE) des athlètes.

Les risques liés à la spécialisation précoce et à l’entraînement intensif

Une spécialisation trop précoce de l’enfant dans un seul sport avec un gros entraînement favorise l’isolement social et une distorsion de la relation familiale. L’enfant est dans une situation de dépendance avec perte de contrôle. Généralement, l’enfant manque de temps pour jouer et il existe un risque important d’apparition de signes dépressifs, de troubles anxieux et d’un possible burn-out. Il a été montré que la situation entraîne une vulnérabilité accrue aux abus, qu’ils soient physiques, sexuels ou toxiques (dopage). Le risque de blessures est augmenté. Tout cela concourt à des abandons prématurés.

La pression parentale excessive

Les parents ont un rôle essentiel d’accompagnement et d’étayage auprès de l’enfant athlète. Malheureusement, dans certaines familles, l’esprit de compétition rend les parents tyranniques, les poussant à négliger ou à ignorer la santé et les besoins de l’enfant au profit de la victoire à tout prix. L’enfant vit dans l’angoisse, la peur de décevoir ses parents (« si tu ne gagnes pas, tu nous fais de la peine, avec tous les sacrifices que l’on fait pour toi, etc. »). L’enfant prend de moins en moins de plaisir, il vit dans le doute, son estime de soi baisse, et c’est le cercle vicieux du découragement, du sentiment de rejet, des échecs et de la dépression. Au maximum, le fonctionnement familial est vraiment maltraitant, ”c’est le syndrome de réussite par procuration, comme l’avait décrit le joueur de tennis André Agassi dans son livre. La relation parents/enfant est totalement distordue. L’enfant est instrumentalisé, les parents se « sacrifient » à la carrière de l’enfant, mais leur amour est conditionné aux réussites et aux succès.

Les addictions

L’addiction au mouvement

L’entraînement intensif, répétitif, peut créer un lien addictif au mouvement avec recherche du mouvement parfait, la quête du contrôle du corps. Le plus souvent cette addiction s’associe à un contrôle de l’alimentation. Le terme de bigorexie a été créé pour évoquer les jeunes, le plus souvent des garçons, qui se rendent en salle de sport quotidiennement pour se muscler au maximum.

Les risques sont importants, tant au niveau physique que psychologique, du fait de l’absence de surveillance et de la prise concomitante de substances (mélanges hyperprotéinés, dopage).

L’addiction aux risques

Certains sports, comme par exemple les sports de glisse, sont indissociables d’un certain degré de prise de risque que les entraîneurs doivent encadrer. Mais certains jeunes sportifs se font happer dans une quête sans limite de recherche de sensations fortes, de dépassement de soi, de vertige (aller toujours plus vite, toujours plus haut, plus loin, planer, etc.), aux dépens de leur sécurité : c’est ce que l’on nomme une toxicomanie sans drogue.

L’addiction aux substances

Le sujet du dopage dépasse notre propos. Néanmoins, nous soulignons que le non-respect du signal « douleur » et la surutilisation d’antalgiques ne devraient pas être acceptés chez un enfant.

Conclusion

En pratique, s’il n’est pas question de remettre en cause les bienfaits du sport chez l’enfant, la pratique en compétition doit être encadrée par des personnes compétentes et centrées sur le bien-être de l’enfant. La diversification (plutôt que la spécialisation précoce) laisse plus de temps pour les activités ludiques, permet un meilleur apprentissage des interactions sociales, un renforcement de l’auto régulation, ne compromet pas les réussites ultérieures et entraîne moins d’abandons. Les médecins sont là pour la santé des enfants, ils doivent donc tempérer les exigences de certains parents et être attentifs aux signes d’alerte physiques et psychologiques.

Pour en savoir plus

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Copyright © Len medical, Pédiatrie pratique, septemnbre 2018