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Après Armel Le Cléac’h et François Gabart, suite de nos entretiens avec les anciens vainqueurs du Vendée Globe en compagnie du seul double tenant du tour du monde en solitaire : Michel Desjoyeaux. Et lorsque l’on a dominé de la manière dont fut la sienne cette épreuve, on a le droit de tout dire. C’est sensé et c’est direct.

Cet homme détient le plus beau palmarès de la course au large en solitaire au sein duquel on relève deux victoires sur le Vendée Globe, entre autres. Et pourtant Michel Desjoyeaux passe actuellement son brevet Capitaine 200 Voile. | PHILIPPE RENAULT/OUEST-France

Philippe JOUBIN. Publié le 10/12/2020 à 17h31

Quand certains des favoris se retirent, cela marque plus que lorsque c’est une vieille guimbarde qui s’en va

Voiles et Voiliers : Quel bilan dressez-vous au terme de ce premier mois de Vendée Globe ?

Michel Desjoyeaux : D’abord, les gens ont la mémoire courte. Ils se plaignent qu’il y aurait plein de casse. Il y en a moins que d’habitude à cet instant de la course.

C’est dû à beaucoup de prudence de la part des marins, prudence qui tourne parfois – je trouve – à l’extrême prudence. Ensuite, une désillusion ou plus exactement une petite déception concernant la capacité des foilers à aller vite ou vouloir aller vite et je pense qu’il faudra réfléchir.

Ce sont des bateaux très rapides mais les conditions de mer ne permettent pas de s’en servir aux vitesses attendues. Il va falloir repenser sans doute les géométries de foils. J’aurais aimé voir les deux bateaux à foils courbes (Arkéa Paprec et Hugo Boss) s’exprimer. Malheureusement,

L’Occitane est trop loin derrière, même s’il va très bien actuellement. Devant, le premier (Charlie Dalin sur Apivia), gère son parcours au mieux possible. Mais on voit aussi Louis Burton avec un bateau de génération précédente réaliser ce que faisait Armel Le Cléac’h voilà quatre ans (Bureau Vallée 2 est l’ancien Banque Populaire VIII victorieux avec Le Cléac’h en 2017, ndlr) à savoir : « je veux aller vite, je descends un peu de foils ; je veux aller moins vite, je remonte un peu de foils et mon bateau devient plus traditionnel ».

Et l’autre fait marquant tient à la météo. Les premiers ont eu un pot au noir tellement incroyable qu’ils ne l’ont même pas subi : on a vu des bateaux y passer à 14 nœuds. Il y a tout juste eu un petit refus quand ils sont arrivés de l’autre côté. En revanche, ils l’ont payé après, en étant obligé de passer au ras de la zone interdite, en bas, pour passer sous l’anticyclone de Sainte-Hélène qui était rendu jusque dans les 40e. Ce n’était pas bien servi !

Voiles et Voiliers : Sur la casse, c’est évident que certaines éditions passées ont été plus touchées, mais ce qui a marqué le plus c’est que hormis PRB et Initiatives Cœur, ce sont des bateaux neufs qui furent touchés…

Michel Desjoyeaux : Quand certains des favoris se retirent – à l’exception de Jérémie qui a eu le courage de retourner au front – cela marque plus que lorsque c’est une vieille guimbarde qui s’en va. Mais on peut aussi se rendre compte que les vieilles guimbardes ne vont pas vite ; que les marins prennent leur temps. Pourquoi pas ? Cela ne me dérange pas et il ne leur arrivera pas grand-chose sur des bateaux déjà éprouvés.

Ce qui est le plus étonnant dans ces abandons ce n’est pas tant le problème de structure d’Hugo Boss – où Alex a fait un super travail de réparation de l’avant – et ce qui lui est arrivé à l’arrière qui semble un peu être ce qui est arrivé à Charal sur la Route du Rhum lorsqu’il cassa son système de direction. Pour Charal justement, on ne saura pas si ses autres problèmes sont liés au contact avec un objet flottant ou si c’est indépendant. Il peut très bien avoir eu un choc qui a créé une surcharge brutale dans le système d’écoute et qui a arraché sa poulie de renvoi.

Il est très difficile de savoir ce qu’il s’est vraiment passé à bord d’un bateau et quel est l’enchaînement quand on est à l’extérieur même si j’arrive à lire entre les lignes. Parfois même le skipper ne le sait pas.

Moi j’ai construit le bateau et ensuite l’équipe s’est débrouillée

Voiles et Voiliers : Le cas PRB n’est pas très lisible non plus à distance…

Michel Desjoyeaux : C’est la grande frustration de cet exercice car on ne saura jamais. Mais n’a-t-il pas tapé quelque chose ? La coque s’y serait abîmée, aurait fini par lâcher et le portefeuille se serait replié ? On ne saura jamais. Mais cela fait partie des hypothèses qu’il ne faut pas oublier. Tout le monde savait, et Kevin (Escoffier) le premier, que ce bateau était très léger et ce depuis son lancement. Il avait été renforcé. Est-ce que cela n’a pas suffi ou est-ce autre chose ? Peut-être que les marins ont tous les détails mais dans le cas de Kevin, nous aurons forcément toujours un doute.

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Corum L’Épargne a son arrivée dans le port de Mindelo (îles du Cap-Vert), bateau construit par le chantier de Michel Desjoyeaux… qui n’a pas eu d’information de la part de l’équipe sur les causes du démâtage. | DR

Voiles et Voiliers : Dans le cas de Corum L’Épargne, connaissez-vous la cause du démâtage ?

Michel Desjoyeaux : Si vous désirez le savoir il faut s’adresser à l’équipe. Et ils vous le diront s’ils le savent et s’ils veulent bien le dire. Moi j’ai construit le bateau et ensuite l’équipe s’est débrouillée. Je ne suis au courant de pas grand-chose.

Il semble que l’Imoca a envoyé un message à tous les skippers et chefs de projet pour rappeler que les mâts (éléments monotypes sur les 60 pieds répondant à la jauge Imoca, ndlr) devaient être utilisés à l’intérieur du cahier des charges. Ce message-là est parti quelques jours après le démâtage de Corum.

On voit bien qu’ils n’ont pas envie de bombarder !

Voiles et Voiliers : Vous semblez avoir le sentiment que les concurrents sont moins à l’attaque cette année que par le passé ?

Michel Desjoyeaux : À bord des foilers c’est sûr. Mais je le comprends complètement : j’ai très peu navigué sur ces bateaux mais cela m’a suffi pour comprendre que les accélérations verticales sont sans commune mesure avec ce que nous connaissions avant.

Et les conséquences sont des casses structurelles comme sur Hugo Boss. Il y aura là encore des réflexions à mener. Les architectes et les équipes trouveront des solutions. Mais on voit bien qu’ils n’ont pas envie de bombarder !

Dans le mauvais temps, tu n’auras pas envie de mettre tout le foil de peur de casser le bateau

Michel Desjoyeaux, alors âgé de 35 ans, au sommet de son art souhaite une bonne année 2001 lors de son premier Vendée Globe où il devra se battre comme un beau diable pour contenir les assauts de Ellen MacArthur. | ALEA/MICHEL DESJOYEAUX

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Voiles et Voiliers : Remettriez-vous en cause cette génération d’Imoca à foils ?

Michel Desjoyeaux : Ce n’est pas une remise en cause. Je constate que les marins n’ont pas envie d’exploiter la capacité maximale des bateaux à foils. Pour moi, l’idéal serait d’ajouter une gouverne de profondeur. Cela va de soi et ça n’a pas de sens de l’interdire à part pour faire de belles images au Défi Azimut !

Dans cette nouvelle génération, il y a des cas différents. Trois sont sortis du jeu malheureusement. Un de ceux à foils courbe (L’Occitane en Provence, ndlr) est loin du peloton de devant. Mais est-ce qu’avec cette géométrie de foils, il saurait gérer la puissance et bénéficier des avantages des grands foils – quand il peut les exploiter – tout en pouvant vraiment réguler la portance ?

Mais comme il est impossible de gérer l’incidence en temps réel, tu essaies de le faire par d’autres moyens. J’en ai discuté avec Juan (Kouyoumdjian, architecte de Corum L’Épargne, ndlr), lors de la conception de Corum. Lorsque j’ai vu l’arc de cercle du shaft, je me suis dit : génial, quand on ne voudra pas avoir de grands foils on pourra le relever partiellement, voire totalement.

Et quelques jours après, Hugo Boss a été révélé avec cette configuration. Juan a adapté cela sur Arkéa Paprec cette année. Ce n’est pas pour aller chercher de la performance mais c’est un système qui permet de réguler la puissance par le biais de la quantité de foils que tu laisses dans l’eau. Par exemple, si on regarde les images d’Apivia dans le mauvais temps ces derniers jours, son foil se trouve dans l’eau, sous le vent et traîne dans la flotte !

Il n’a pas le choix ! Donc forcément le bateau va monter dessus. Il faut donc trouver un système pour réguler. Les architectes, les ingénieurs et les équipes vont réfléchir à la configuration de foils à réaliser pour être plus polyvalent, à savoir bénéficier des avantages des foils – 20 % de mieux qu’un bateau qui en est dépourvu – mais être capable d’avoir une portance adaptable en fonction des conditions.

Dans le mauvais temps, tu n’auras pas envie de mettre tout le foil de peur de casser le bateau. Ou alors, on construit des coffres-forts qui ne seront pas de bons bateaux de course. Il faut trouver le bon ratio.

Michel Desjoyeaux aurait beaucoup aimé voir le potentiel des foils de L’Occitane en Provence face à la concurrence. Hélas, les soucis techniques d’Armel Tripon l’ont trop retardé. | PIERRE BOURAS/L’OCCITANE EN PROVENCE

Les premiers sont à peu près en retard de six jours sur le chrono d’Armel Le Cléac’h voilà quatre ans

Voiles et Voiliers : Sur ce Vendée Globe, il y a beaucoup de bateaux neufs aux solutions techniques différentes mais qui hélas n’ont pas pu s’exprimer bord à bord. Peut-on néanmoins en tirer des enseignements ?

Michel Desjoyeaux : Dans l’aspect chrono, il y a une part due aux conditions météo, de la position hyper Sud de l’anticyclone de Sainte-Hélène qui a coûté beaucoup plus cher que s’ils avaient eu un pot au noir difficile. Les premiers sont à peu près en retard de six jours sur le chrono d’Armel Le Cléac’h voilà quatre ans.

Donc tu te dis que c’est un peu décevant d’avoir fait des foils pour ça. En revanche, si les conditions avaient été idéales avec un train de dépression classique, ils auraient peut-être pu tenir les moyennes attendues de ces foilers.

Il y a 40 nœuds dans les rafales et ils parlent de tempête. Ça va ! Eh les gars, n’allez pas faire le Vendée Globe mais le Spi Ouest-France

Voiles et Voiliers : D’où aussi les prestations de marins sur des bateaux classiques tels que Jean Le Cam, Damien Seguin, Benjamin Dutreux ?

Michel Desjoyeaux : Absolument. Mais si ces marins-là disposaient de foilers, ils ne seraient pas loin de là où ils naviguent actuellement ! Cette année, l’investissement ne vaut pas le coup. Mais j’aurai bien aimé voir Arkéa Paprec et Hugo Boss jouer encore.

Vendée Globe. La cartographie pour suivre les skippers

En janvier 2009, peu après le passage du cap Horn, nous avions survolé Michel Desjoyeaux en compagnie du photographe Jean-Marie Liot à bord d’un minuscule avion Cessna, le « Professeur » demandant par radio avec insistance comment nous trouvions son bateau… Il espérait que nous ne détections pas que ses safrans avaient souffert pour que ses adversaires n’en tirent aucune conséquence. | JEAN-MARIE LIOT / ALEA

Voiles et Voiliers : Après une météo inhabituelle, celle que les leaders rencontrent désormais semble plus habituelle d’un Vendée Globe ?

Michel Desjoyeaux : Oui, à l’exception de la dépression venue de Port Elizabeth (Afrique du Sud). Nous avions eu une dépression de ce style mais descendue de Nouvelle-Zélande. En revanche, Je suis effaré, lorsqu’il y a 40 nœuds tous parlent de tempête ! C’est bon ! Dans les mers du Sud, 40 nœuds c’est le quotidien, il faut arrêter avec ça.

Quand il y a 60 nœuds, je comprends qu’on serre les fesses ; quand il y en a 40, c’est normal là-bas. Il y a 40 nœuds dans les rafales et ils parlent de tempête. Ça va ! Eh les gars, n’allez pas faire le Vendée Globe mais le Spi Ouest-France.

Et encore, j’ai fait le Spi avec 50 nœuds et cela nous faisait marrer. C’est un problème générationnel : il y a de moins en moins d’occasions d’aller naviguer dans des vents forts, principe de précaution qui atteint ses limites au grand large.

Mais d’une façon générale, on voit que les marins ont moins l‘habitude que notre génération d’affronter des vents violents

Voiles et Voiliers : Mais les concurrents de cette édition n’ont pas été aidés avec des courses de préparation moins ventées…

Michel Desjoyeaux : Le peu de navigations qu’ils ont pu faire avec le Covid a limité les champs exploratoires. Sur la Jacques Vabre 2019, ils ont rencontré du vent fort. Et ceux qui auraient pu en tirer parti ont cassé, je pense à Hugo Boss (choc avec un OFNI, ndlr). Mais d’une façon générale, on voit que les marins ont moins l‘habitude que notre génération d’affronter des vents violents.

Au bout du compte, ils ne savent plus faire. Ce n’est pas un hasard si Jean Le Cam et Alex Thomson sont allés dans Thêta (la violente dépression de début de course, ndlr) à leur 5e Vendée car il y avait 150 milles d’avance à se faire. Et c’était facile : tu y allais et tu empannais quand tu voulais pour ne pas prendre trop de vent. Ce n’est pas la dépression qui venait sur toi, c‘est toi qui rentrais dedans. On a vu le gain énorme qu’ils y ont fait. Ensuite je pense que le reste de la flotte a eu la chance qu’Hugo Boss ait cassé son système de safrans…

L’autre incertitude dont je n’ai pas la réponse : Alex a-t-il attendu de pouvoir réparer pour dire qu’il avait eu un problème de structure avant ou dans Thêta ? Ou est-ce en allant faire une vérification avant les mers du Sud qu’il a détecté que son longi axial (une poutre longitudinale dans l’avant du bateau, ndlr) était cassé ? Lui seul sait et nous ne le saurons jamais car il ne le dira jamais !

Si le Vendée Globe ne sera plus au programme de Michel Desjoyeaux, il n’hésita pas à disputer la Solitaire du Figaro en 2019, course qu’il gagna à trois reprises. | ALEXIS COURCOUX/SOLITAIRE DU FIGARO

Voiles et Voiliers : Ces bateaux vous donnent-ils envie d’aller disputer le Vendée Globe à leurs bords ?

Michel Desjoyeaux : Oui, comme Jean (il rit). Mais moi, je suis trop vieux pour faire ça, place aux jeunes. Je me suis arrêté car je n’avais plus envie d’y aller. Ce seront des bateaux amusants, capables de marcher à 30 nœuds lorsqu’ils auront une gouverne de profondeur. Là, ce sont des shakers.

Voiles et Voiliers : Et quelle est l’actualité de Michel Desjoyeaux actuellement ?

Michel Desjoyeaux : Je suis en formation CGO (Certificat Général Opérateur) pour passer mon Capitaine 200 Voile – en espérant avoir une équivalence ! – mais pas sur cette partie-là qui est très intéressante. Dans mon chantier, il y a actuellement des Figaro 3, peut-être un Class40 dans quelque temps et des travaux courant de préparation de bateaux de course.

Je n’ai pas de projet de bateau de course pour moi bien sûr mais pas pour d’autres non plus. Nous travaillons toujours sur le projet des penons électroniques. En même temps, je travaille sur un programme de mobilité durable utilisant l’énergie du vent. Mais j’en dirai plus prochainement !

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