HÉPATO-GASTRO-ENTÉROLOGIE – Par Charline Delafontaine le 25-11-2019

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Thérapie émergente dans le traitement des infections récidivantes à Clostridium difficile, la transplantation de microbiote fécal fait l’objet de recherche actives laissant entrevoir de nouvelles indications potentielles, notamment du côté des Mici. Le point avec le Pr Harry Sokol* (Gastroentérologie à l’hôpital Saint-Antoine– AP-HP / Sorbonne Université, Paris et chercheur à l’Inserm (U938) et à l’Inra à Institut Micalis).

Egora – Le Panorama du Médecin : Aujourd’hui, dans le cadre du soin, la seule indication validée de la transplantation de microbiote fécal est l’infection à Clostridium difficile multirécidivante…

Pr Harry Sokol : En effet, car à l’heure actuelle elle reste la seule indication qui soit parvenue à réellement faire ses preuves… Dans la littérature médicale, les premières publications s’agissant de cas d’infections récidivantes à Clostridium difficile traités efficacement par transplantation de microbiote fécal (TMF) datent des années 80. Au cours des trente années qui suivirent, des centaines de cas similaires furent rapportés dans la littérature.

Jusqu’à la publication, en 2013 dans le New England Journal of Medicine, du premier essai randomisé et contrôlé. En comparant la TMF au traitement standard par vancomycine, cet essai hollandais a démontré une nette supériorité de cette technique sur le traitement antibiotique : 81 % de guérison dès la première transplantation, contre 31% pour le traitement par vancomycine. Ce sont ces résultats qui ont conduit les sociétés savantes européennes et nord-américaines à intégrer la TMF dans la prise en charge des infections récidivantes à C. difficile.

Ainsi, la Société européenne de microbiologie clinique et des maladies infectieuses (ESCMID) recommande le recours à la TMF après échec d’un traitement bien conduit par vancomycine ou fidaxomicine et à partir de la seconde récidive, c’est à dire dès la survenue d’un troisième épisode.

Des taux de succès de l’ordre de 80 à 90 %…. Comment expliquer de tels résultats?

Il y a beaucoup d’hypothèses… L’une des principales est d’ordre « écologique ». On estime en effet qu’environ 3% de la population française héberge dans l’intestin cette fameuse bactérie C. difficile qui est connue pour proliférer en cas de dysbiose, c’est à dire lorsque le microbiote intestinal est déséquilibré notamment suite à la prise de traitements antibiotiques. Si en cas d’infection à Clostridium difficile, nous privilégions en première intention la prescription d’une antibiothérapie, on sait aujourd’hui que ce traitement ne permet pas une éradication complète de la bactérie, mais seulement une diminution de cette population bactérienne anaérobie.

Ainsi après l’arrêt du traitement, une sorte de « compétition écologique » va se mettre en place entre les bactéries C. difficile restantes et le microbiote alentour qui aura également été affecté par les traitements antibiotiques non spécifiques. Malheureusement, aujourd’hui on constate que dans 15 à 20% des cas après le 1er épisode, c’est le Clostridium difficile qui va l’emporter et ainsi recoloniser le microbiote au détriment des « bonnes » bactéries. C’est la récidive…

Après une première récidive, le risque d’en faire une seconde passe à 40-50% puis à plus de 60% après une 2e récidive. Lorsque l’on a recours à une transplantation de microbiote fécal, nous prescrivons également une antibiothérapie en amont… Suivie d’un apport massif et brutal d’un nouveau microbiote intestinal provenant d’un donneur sain et qui alors va prendre place dans le tube digestif du patient receveur.

Les espaces écologiques étant occupés par ces autres bactéries transplantées, C. difficile n’aura plus la possibilité de se multiplier. Enfin, on sait que lors d’une transplantation fécale, on n’apporte pas seulement des bactéries, mais également de « bons » acides biliaires et des virus phages qui vont également participer à l’équilibre des écosystèmes microbiens et empêcher la prolifération de C. difficile.

À ce jour en France, combien d’établissements hospitaliers pratiquent la transplantation de microbiote fécal dans le traitement des infections récidivantes à Clostridium difficile ?

Moins d’une quinzaine d’établissement la pratiquent couramment. C’est peu… En tout cas ce n’est pas assez compte tenu l’incidence des infections à C. difficile. En Europe, leur incidence moyenne est passée de 4,1 pour 10 000 journées d’hospitalisation en 2008 à 7,9 en 2012- 2013.  Combien de patients bénéficient d’une TMF chaque année sur le territoire français ? C’est difficile à estimer, puisqu’aujourd’hui nous ne disposons pas d’un registre national officiel. Mais c’est en cours de création…

Un tel registre, cofinancé par la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SNFGE) et la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) devrait ainsi voir le jour en 2020. Sous l’égide du Groupe Français de Transplantation Fécale (GFTF), il sera coordonné par le service de gastroentérologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris où, depuis 2013, nous pratiquons couramment la TMF aussi bien dans le cadre du soin s’agissant des infections à Clostridium difficile récidivantes que dans le cadre de la recherche dans les maladies inflammatoires de l’intestin…

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici) sont-elles des indications potentielles pour l’avenir ?

La recherche dans le domaine de la transplantation de microbiote fécal est extrêmement active. En Europe, en Amérique du Nord, en Australie, en Chine. Des centaines d’études sont en cours à travers le monde. Elles concernent un grand nombre de maladies. Mais celles pour lesquelles nous disposons du plus grand nombre de données, ce sont en effet les Mici. Concernant la rectocolite hémorragique, nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur les résultats de quatre études randomisées qui montrent qu’on parvient à induire la rémission grâce à la TMF dans 20 à 30% des cas, versus placebo (de l’ordre de 5 à 10%).

Si, s’agissant de cette pathologie, la TMF a un effet positif, les résultats obtenus restent toutefois bien au-dessous de ceux affichés pour le Clostridium difficile, qui demeure une infection quasiment exclusivement liée au microbiote intestinal. On sait que ce microbiote est également impliqué dans les Mici, mais il est clair qu’il n’est pas le seul acteur.

Partant de ce constat, nous développons à l’hôpital St Antoine une stratégie originale visant à cibler à la fois le système immunitaire et le microbiote. Dans une première étude préliminaire dans la maladie de Crohn, nous avons tout d’abord traité les patients par corticoïdes pour calmer l’inflammation avant de réaliser une transplantation de microbiote fécal, afin de maintenir l’effet au long cours.

Les premiers résultats sont encourageant et nous avons débuté des études de plus grande envergure dans la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique en suivant la même logique.  Donc oui, il y a un signal positif du côté des Mici.

Et il est plutôt encourageant. Seulement ces données restent encore insuffisantes pour envisager une indication dans le cadre du soin. Ainsi, dans les années à venir, de nouveaux travaux devraient venir préciser la place et les modalités de la transplantation de microbiote fécal dans la prise en charge de ces Mici.

*Le Pr Sokol déclare avoir une participation financière dans le capital de l’entreprise Exeliom bioscience et Enterome et avoir participé à des interventions ponctuelles pour : Danone, Biocodex, Enterome, Carenity, Abbvie, Astellas, Danone, Ferring, Mayoly Spindler, MSD, Novartis, Roche, Tillots, Enterome, Maat, BiomX, Biose, Novartis, Takeda.

Vigilance accrue dans les études
Cette année aux Etats-Unis, deux patients immunodéprimés ont été contaminés par une bactérie Escherichia coli multirésistante … L’un d’entre eux est décédé. Ces deux patients participaient à des essais cliniques distincts concernant la transplantation fécale, mais ils avaient reçu des selles d’un même donneur.  À la suite de cet événement, la Food and Drug Administration (FDA) a revu ses recommandations, demandant aux investigateurs cliniciens conduisant de telles études de réaliser des examens de dépistage supplémentaires chez tous les donneurs de microbiote fécal, notamment une recherche de portage digestif de bactéries multi-résistantes .

Comme recommandé en France depuis 2014 par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, ainsi que le Groupe Français de Transplantation Fécale (GFTF).

Sources : DeFilipp Z et al. NEJM. 30 octobre 2019

D’après un entretien avec le Pr Harry Sokol (Gastroentérologie à l’hôpital Saint-Antoine– AP-HP / Sorbonne Université, Paris et chercheur à l’Inserm (U938) et à l’Inra à Institut Micalis)

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