Publié le 21/02/2022
L’obésité constitue un problème de santé publique majeur.
L’épidémie d’obésité parait coïncider avec des modifications d’habitudes de sommeil, observées ces dernières décennies dans nos sociétés.
A titre d’exemple, un tiers de la population aux USA dort moins de 7 à 9 heures par nuit, comme cela est recommandé.
Il existe de nombreuses preuves suggérant qu’un sommeil de moins de 7 heures par nuit est nocif en matière de santé et constitue un facteur de risque important d’obésité.
Au niveau populationnel, il existe une association entre flux d’énergie et prise de poids.
L’apport énergétique est le facteur essentiel d’un éventuel surpoids dans nos sociétés modernes.
Toute augmentation d’environ 100 kcal/j de la prise énergétique conduirait à un gain de poids de 4,5 kg sur 3 ans.
Un des facteurs causaux pourrait être une durée insuffisante de sommeil.
De fait, des études expérimentales de courte durée, menées en laboratoire ont fait la preuve qu’une restriction de sommeil, chez des sujets normaux, était associée à une augmentation de l’apport énergétique d’environ 250 à 300 kcal/j, sans hausse ou avec une variation très minime de la dépense énergétique.
A ce jour, toutefois, on ignore si une intervention visant à augmenter la durée de sommeil peut, dans des conditions de vie réelles, affecter la balance énergétique et, par conséquent, modifier le poids corporel.
E. Tasali et collaborateurs ont conduit un essai clinique randomisé afin de déterminer si une augmentation de la durée de sommeil modifiait l’apport et la consommation énergétique, donc le poids, en conditions de vie réelles, chez des individus en surpoids qui, de façon habituelle, avaient un nombre d’heures de sommeil réduit.
L’essai a été monocentrique, mené entre le 1er novembre 2014 et le 30 octobre 2020.
Les participants étaient des hommes et des femmes âgés de 21 à 40 ans, dont l’indice de masse corporelle moyen était compris entre 25,0 et 29,9 kg/m2 et qui, de façon habituelle depuis au moins 6 mois, dormaient moins de 6,5 heures par nuit.
La durée de sommeil était quantifiée par une actographie de dépistage au poignet, pendant une semaine en conditions basales.
Ont été exclus de l’étude les sujets présentant une apnée du sommeil, une insomnie et ceux en travail de nuit ou alterné.
Après 2 semaines d’observation, les participants ont été randomisés en deux groupes, l’un dont la durée de sommeil avait été accrue et le second sans modification de celle-ci.
Les activités diurnes étaient, pour tous, maintenues inchangées, tout comme le régime alimentaire ou l’activité physique.
Le groupe actif a reçu des recommandations et consignes visant à étendre la durée du sommeil à 8,5 heures.
Toutes les 2 semaines durant l’essai, la consommation énergétique a été calculé à partir de la dépense énergétique et des variations des stocks d’énergie corporelle.
La première a été appréciée par méthode à l’eau doublement marquée et la seconde en tenant compte des variations de poids, de masse maigre et grasse.
Le métabolisme de base et l’effet thermique des repas ont également été mesurés.
Le principal point analysé était les variations de l’apport et de la consommation énergétique en fonction de la durée du sommeil.
Des effets sur la balance énergétique
Sur 210 adultes éligibles, 80 personnes d’âge moyen 29,8 (9,1) ans ont été randomisées dans un groupe contrôle et un groupe « actif ».
On comptait 41 hommes et 39 femmes.
Aucun ne prenait de médicaments anti-hypertenseur ou hypolipémiant pouvant affecter le sommeil ou le métabolisme.
Mesurée par actographie, la durée supplémentaire de sommeil dans le groupe actif a été de 1,2 heure (intervalle de confiance à 95 % IC : 1,0- 1,4 ; p < 0,001), comparativement au groupe témoin, cela tant pour les jours ouvrés que les jours de repos.
On ne note, par contre, aucune différence entre les 2 bras, dans la période passée au lit sans dormir (-0,6 heure ; IC : -2,1 à 1,0 heure ; p= 0,48).
L’apport énergétique a diminué significativement dans le groupe actif (- 270 kcal/j ; IC : – 393 à – 147 ; p< 0,001).
Comparativement, durant la même période, une hausse notable de l’apport énergétique a été notée dans le groupe contrôle (114,9 kcal/j ; IC :29,6 à 200,2) et une diminution tout aussi significative dans le groupe avec sommeil prolongé (- 155 kcal/j ; CI : -244, 1 à – 66,9).
La durée totale de sommeil est apparue inversement corrélée avec les variations de l’apport énergétique (r = – 0,41 ; IC : – 0,53 à – 0,20 ; p < 0,001).
Chaque augmentation de 1 heure de la durée de sommeil a été associée à une réduction de la prise énergétique de 162 kcal/j (IC : – 248 à -77 ; p< 0,001).
On ne note, par contre, aucune variation de la dépense énergétique globale.
En conséquence, les participants du groupe actif ont présenté une réduction pondérale significative de – 0,87 kg ; (IC : – 1,39 à – 0,35 ; p = 0,001) par rapport au groupe contrôle.
De façon plus précise, on enregistre un gain de poids de 0,39 kg (0,002 à 0, 76) dans ce dernier versus une baisse de – 0,48 kg (- 0,85 à – 0,11) dans le groupe avec prolongation de la durée du sommeil.
Ni le sexe, ni la période du cycle menstruel ne modifient les résultats globaux.
Ainsi, chez des individus en surpoids dont la durée de sommeil est habituellement courte, une prolongation du sommeil réduit la prise énergétique et amène à un bilan énergétique négatif en conditions de vie réelles.
Ce travail démontre donc les effets bénéfiques d’un sommeil plus prolongé sur la prise énergétique et le poids corporel chez des individus en surpoids mais conservant par ailleurs un même environnement et un même style de vie.
Bien que cette étude n’ait pas porté sur le long terme, il est possible d’extrapoler, en cas d’effet durable, une perte de poids de 12 kg sur 3 ans.
Ces résultats sont à rapprocher de ceux menés en laboratoire, sur de courtes périodes, qui avaient démontré qu’une réduction de la durée de sommeil majorait une prise de poids.
Ils sont aussi concordants avec ceux d’études observationnelles qui avaient établi une association entre sommeil et obésité, le risque de poids excessif pouvant croitre, selon certaines, de 9 % par heure de sommeil en moins.
Ce travail a plusieurs qualités : il a été randomisé et a comporté une évaluation détaillée des apports énergétiques.
Il a été réalisé dans des conditions réelles et non en laboratoire.
A l’inverse, il n’a inclus que des individus en surpoids, limitant ainsi la généralisation de ses résultats.
En outre Il n’a pas porté sur une longue période et les méthodes de marquage utilisées offraient une précision de seulement 5 %.
En conclusion, il apparait qu’une prolongation modérée de la durée de sommeil réduit la prise énergétique objective et entraine une négativation du bilan énergétique.
Ces données soulignent l’importance d’une durée de sommeil adéquate et pourraient avoir une grande importance en matière de santé publique, dans la lutte contre l’obésité.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE : Tasali E et coll. : Effect of Sleep Extension on Objectively Assessed Energy Intake Among Adults With Overweight in Real Life Settings. JAMA Intern Med, 2022 ; publication avancée en ligne le 7 février. doi: 10.1001/jamainternmed.2021.8098.
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