Par Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne

un enfant déprimé regarde à travers la fenêtre Profession Santé logo    04/08/2021

Le suicide chez les jeunes enfants est fréquemment associé à des problèmes de santé mentale, à des comportements suicidaires précédents, à des traumatismes ou à des conflits avec les amis ou la famille, prévient une étude publiée récemment par l’hôpital pédiatrique américain Nationwide.

De plus, un événement négatif déclencheur, comme une querelle ou une mesure disciplinaire, s’était souvent produit tout récemment dans la vie des jeunes de 5 à 11 ans qui ont mis fin à leurs jours.

La problématique du suicide d’enfants aussi jeunes reste mal étudiée et donc mal comprise, mais le suicide représenterait la septième cause de décès en importance chez les jeunes de 1 à 12 ans aux États-Unis, et la deuxième cause chez les 10-14 ans.

« C’est sûrement moins rapporté que la réalité, c’est clair, a réagi la docteure E. Lila Amirali, qui dirige le département de pédopsychiatrie du CHU Sainte-Justine.

Dans le monde scientifique, on sait que c’est sous-estimé, et ça nous inquiète. »

Des données récentes des Centres de prévention et de contrôle de la maladie des États-Unis démontreraient ainsi que le suicide chez les 5-11 ans a progressé de 15% par année entre 2012 et 2017.

Les chercheurs de Nationwide ont examiné 134 suicides survenus dans ce groupe d’âge entre 2013 et 2017.

Le quart des petites victimes avaient été hospitalisées pour des raisons psychiatriques avant leur mort, et près de 80% d’entre elles recevaient des soins pour un problème de santé mentale.

La Dre Amirali y voit la preuve qu’il est possible de faire « beaucoup mieux » pour intercepter ces enfants avant qu’ils ne commettent l’irréparable, puisque 80% des jeunes décédés par suicide avaient visité un professionnel de la santé dans l’année précédant leur décès, et que 40% d’entre eux s’étaient rendus dans un milieu médical dans le mois avant leur suicide.

« Donc quelqu’un parmi nous a vu ces enfants-là, a été en contact avec eux et leur famille, et c’est là qu’on peut vraiment travailler, a-t-elle dit.

Il y a quelque chose que nous pouvons tous faire, dans le système de santé, pour capturer cette population-là. »

Compréhension de la mort

On peut raisonnablement se demander ce qu’un jeune de cet âge comprend réellement de la mort.

Cela dépendrait largement de ce à quoi l’enfant a été exposé jusqu’à ce moment.

« Ça varie en fonction des expériences de l’enfant, a expliqué Marie-Claude Geoffroy, une professeure de l’Université McGill qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la prévention du suicide chez les jeunes.

Une étude avait démontré que les enfants qui étaient déprimés et qui avaient des idées suicidaires avaient une compréhension plus mature de la mort.

Donc on peut penser que les enfants jeunes, suicidaires, ont une certaine compréhension de la mort. »

Des études démontrent que, jusqu’à l’âge de 12 ans, un enfant qui est exposé à la mort d’une façon ou d’une autre (par exemple, lors du décès d’un grand-parent) aura une certaine compréhension de la mort, même s’il ne comprendra pas le mot « suicide » comme tel, a ajouté la docteure Amirali.

Ainsi, lors d’une autre enquête, 71% des enfants âgés de 6 à 12 ans de l’échantillon étudié comprenaient que la mort était définitive et 95% comprenaient le concept de se suicider, même s’ils ne connaissaient pas la signification du mot « suicide ».

Les tentatives suicidaires chez ces enfants sont souvent liées à l’impulsivité, poursuit la docteure Amirali.

Elles surviennent chez les enfants qui ont des troubles d’extériorisation (comme le TDAH ou le trouble oppositionnel), mais aussi chez des enfants qui ont des troubles d’intériorisation et qui ne parleront pas nécessairement de leurs émotions.

« Dans les deux catégories, quand on voit n’importe quel enfant qui a de la détresse (…), il faut poser des questions pour voir s’il y a des pensées suicidaires », a-t-elle dit.

« Jusqu’à quel point l’enfant se sent devant un mur, devant des oreilles sourdes?

Jusqu’à quel point il a fait des tentatives pour changer les choses, et il n’y a pas de changements?

C’est ça qu’on cherche comme facteur de risque, comme ‘red flag’. (…) Si c’est un enfant qui a cherché et cherché, alors c’est un enfant à très haut risque. »

Les théories qui traitent du suicide chez les jeunes enfants évoquent presque toutes les avantages et les désavantages de rester en vie ou de mourir, a ajouté la docteure Amirali.

Si l’enfant grandit dans un milieu dans lequel le suicide est présenté comme une solution (par exemple, en entendant un parent répéter qu’il va finir par se jeter en bas d’un pont), si les désavantages de la vie finissent par dépasser les avantages, ou encore si l’enfant a l’impression qu’il est « jetable » et que tous iraient mieux s’il n’était pas là, « on a un problème », a-t-elle prévenu.

Mesures disciplinaires

Une donnée de l’étude Nationwide fait sursauter: le tiers des enfants qui se sont suicidés avaient été disciplinés la journée même, souvent après une querelle avec leurs parents ou dans la foulée d’un événement survenu à l’école.

La moitié des mesures disciplinaires impliquaient l’envoi de l’enfant dans sa chambre et le tiers la confiscation d’un appareil électronique.

On ne doit évidemment pas établir de lien de causalité entre les deux en s’empressant de conclure que la mesure disciplinaire est directement responsable du suicide.

« Le suicide, c’est multifactoriel, a dit Mme Geoffroy. Je ne pense pas que le message pour les parents est de ne pas discipliner leurs enfants.

Les parents peuvent jouer un rôle important dans la prévention en étant à l’écoute, en validant, en posant des questions si jamais il y a une certaine inquiétude. »

On peut en revanche boucler la boucle en se souvenant que les enfants qui ont des problèmes de santé mentale pourront être plus susceptibles que les autres d’être impliqués dans des conflits à l’école ou à la maison, entraînant ensuite l’imposition de mesures disciplinaires.

On peut aussi associer le geste qu’ils posent à l’impulsivité évoquée par la docteure Amirali.

« Ce n’est pas surprenant du tout, parce que c’est la goutte qui fait déborder le vase, a dit la spécialiste.

Ce n’est pas une question de discipline. C’est une question de se sentir rejeté, non compromis, que ce n’est pas justifié (…) alors ça devient ‘quelle est la solution? »

« C’est une accumulation. Ce n’est pas ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est ce qui se passe depuis plusieurs mois, c’est toute la perception de soi.

C’est pour ça qu’il ne faut pas traiter seulement l’enfant, il faut traiter l’unité, il faut traiter tout le monde ensemble pour mieux se comprendre, pour mieux communiquer. »

Pour contrer cette impulsivité et éviter des tragédies inutiles, la Dre Amirali plaide en faveur d’une plus grande place à la santé mentale dans les écoles, comme on a fait une place à la santé sexuelle.

Un enfant qui est en colère et qui n’est pas bien outillé pour gérer ses émotions, explique-t-elle, réagira pour éviter ces émotions négatives.

Le suicide devient à ce moment davantage un évitement de la douleur émotionnelle qu’une affirmation de la mort.

Si on arrive à recadrer la situation et à empêcher l’enfant d’agir en attendant le rétablissement de son équilibre émotionnel, on pourra en théorie éviter les tentatives de suicide, a-t-elle précisé.

Les conclusions de l’étude de Nationwide ont été publiées par le journal médical JAMA Network Open.

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Description générée automatiquement Sherbrooke – Le jeudi 5 août

Santé mentale: de très jeunes enfants pourraient mettre fin à leurs jours

JEAN-BENOIT LEGAULT – La Presse canadienne

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