Publié le 15/04/2022
Le débat en cours pour savoir si l’utilisation de téléphones cellulaires (portables) augmente le risque de développer une tumeur cérébrale a été récemment alimenté par le lancement de la cinquième génération de technologies sans fil.
Ce risque suscite dans la population des inquiétudes depuis longtemps et de nombreuses études épidémiologiques ont été conduites sur ce sujet.
A ce jour aucune étude n’a prouvé la causalité entre utilisation de téléphone portable et tumeur cérébrale.
Des études ont montré un lien statistique possible et nous en présentons des résultats dans un premier temps.
Puis nous montrerons les résultats de deux études de cohortes, de grande envergure, prouvant l’absence de lien.
Impossible de conclure dans l’étude CERENAT
Des chercheurs de l’université de Bordeaux ont montré, dans une étude dénommée « CERENAT » que le risque de développer un gliome cérébral, type de cancer très agressif, serait doublé chez les utilisateurs intensifs de téléphone portable [1].
Cette étude a regroupé les cas de tumeurs cérébrales, bénignes ou malignes, survenues entre juin 2004 et mai 2006 chez des personnes de plus de 15 ans dans quatre départements français : la Gironde, le Calvados, la Manche et l’Hérault.
Le profil de ces personnes a été comparé à celui de résidents de ces départements, du même âge, de même sexe, utilisant eux aussi des téléphones portables, mais n’ayant pas eu de tumeur cérébrale.
Il s’agissait d’une étude cas-témoins dont on connaît les limites méthodologiques, et bien que correctement conduite, elle ne permettait pas, selon les auteurs eux-mêmes, de conclure.
De son côté, le groupe de travail du CIRC (*), a examiné plusieurs centaines d’études épidémiologiques sur le sujet ; il estime qu’il existerait un lien possible entre l’usage du téléphone portable et l’apparition de gliomes et de neurinomes de l’acoustique.
Les radiofréquences liées à l’utilisation du téléphone sans fil sont classées cancérogènes possibles (groupe 2B) pour le risque de gliome [2], mais dans ces études aussi, la causalité n’est pas démontrée.
Pas d’association dans une étude danoise
Une étude de cohorte au Danemark a porté sur des sujets âgés de 30 ans et plus, avec un suivi sur dix-sept années ; elle a comparé les taux d’incidence des tumeurs cérébrales chez 358 403 abonnés au téléphone portable avant 1995 et chez les non-abonnés [3].
Les auteurs ont tenté d’établir un lien entre les registres des abonnés au téléphone portable et le registre danois du cancer.
Après ajustement pour de multiples variables, les abonnés au téléphone portable étaient exposés au même risque de survenue de tumeur cérébrale que les non-abonnés.
Le rapport des taux d’incidence (RTI) était de 1,02 (intervalle de confiance à 95 % IC 95% : 0,94-1,10) chez les hommes et de 1,02 (IC 95% : 0,86-1,22) chez les femmes.
Ce risque ne variait pas avec la durée d’utilisation, chez les hommes (RTI = 1,03 ; IC 95% : 0,83-1,27) comme chez les femmes (RTI = 0,91 ; IC 95% : 0,41-2,04), tous abonnés durant plus de douze ans.
Aucune différence d’incidence n’a été noté dans les deux groupes pour les gliomes, les méningiomes ou d’autres tumeurs, ainsi que dans les localisations des tumeurs cérébrales, notamment du lobe temporal.
La mesure de l’effet dose-réponse basée sur la durée d’abonnement au lieu du temps réel d’utilisation constitue la limitation principale de l’étude.
Les auteurs concluent à l’absence d’association entre l’usage du téléphone portable et le risque de tumeur cérébrale, dans cette étude.
Et pas davantage au Royaume-Uni
Une étude menée au Royaume-Uni et dont les résultats ont été publiés récemment, en mars 2022, a confirmé cette absence d’association.
Il s’agit en fait d’une mise à jour des données d’une étude ayant débuté en 1996 [4].
Elle a porté sur une cohorte de femmes nées entre 1935 et 1950, recrutées dans l’étude de 1996 à 2001.
Des questions sur l’utilisation des téléphones cellulaires ont été posées pour la première fois en 2001, puis en 2011.
Toutes les participantes à l’étude ont été suivies par couplage d’enregistrements aux bases de données des Services de santé nationaux concernant les décès et les cancers (y compris les tumeurs cérébrales non malignes).
La cohorte était constituée de 776 156 femmes ayant rempli le questionnaire de 2001.
Durant la période de suivi de 14 années, 3 268 tumeurs cérébrales ont été enregistrées (0,42 tumeurs p 100 femmes).
Les risques relatifs ajustés en fonction de l’utilisation du téléphone cellulaire étaient pour toutes les tumeurs cérébrales de 0,97 (IC 95% : 0,90 à 1,04), pour le gliome de 0,89 (IC 95% : 0,80 à 0,99) ; ils n’étaient pas statistiquement significativement différents de 1,0 pour le méningiome, les tumeurs hypophysaires et le neurinome acoustique.
Par rapport aux personnes n’ayant jamais utilisé de téléphone cellulaire, aucune association statistiquement significative n’a été trouvée, globalement ou par sous-type de tumeur, avec l’utilisation quotidienne de téléphones cellulaires ou avec le fait d’avoir utilisé des téléphones cellulaires pendant au moins 10 ans.
En prenant l’utilisation en 2011 comme référence, il n’y avait pas d’association statistiquement significative avec le fait de parler pendant au moins 20 minutes par semaine ou avec le fait d’avoir utilisé le téléphone pendant au moins 10 ans.
Pour les gliomes survenant dans les lobes temporaux et pariétaux, les parties du cerveau les plus susceptibles d’être exposées aux champs électromagnétiques de radiofréquence des téléphones cellulaires, les risques relatifs étaient légèrement inférieurs à 1,0.
Seules des femmes ont été incluses ; elles étaient d’un âge compris entre 45 et 60 ans lors de l’inclusion en 1996.
L’usage du téléphone est très répandu chez les plus jeunes avec un nombre d’heures d’utilisation beaucoup plus grand.
On ne peut donc extrapoler ces résultats à la population générale.
Conclusions des auteurs, Nos résultats confirment l’accumulation de preuves que l’utilisation de téléphones cellulaires dans des conditions normales n’augmente pas l’incidence des tumeurs cérébrales.
Oreillette, DAS faible et autres recommandations
De l’ensemble de ces études, on peut conclure qu’il n’y a pas de causalité démontrée à ce jour entre utilisation du téléphone portable et survenue de tumeurs cérébrales.
Cependant des études devront être menées chez les populations les plus jeunes très dépendantes aujourd’hui du téléphone portable ; elles doivent être sensibilisées sur son bon usage.
A noter que L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé a rassemblé sur un site WEB les recommandations essentielles sur le bon usage du portable.
Il faut utiliser une oreillette (filaire ou bluetooth) ou éloigner le téléphone portable de la tête lorsque les émissions d’ondes sont les plus fortes.
En particulier dans les secondes qui suivent la numérotation, et chaque fois qu’il n’y a qu’une ou deux barrettes sur le téléphone, dans les zones où la réception est mauvaise (parkings souterrains, ascenseurs, lieux confinés).
Lorsque l’on achète un appareil, il faut privilégier les téléphones ayant le DAS (débit d’absorption spécifique) le plus faible.
(*) Le CIRC, Centre International de Recherche sur le Cancer (International Agency for Research on Cancer IARC) est une agence de l’OMS, basée à Lyon.
Il a pour missions de coordonner et de mener des recherches sur les causes du cancer chez l’être humain, sur les mécanismes de la cancérogenèse et d’élaborer des stratégies scientifiques de lutte contre le cancer.
Dans ce cadre, il identifie les facteurs environnementaux et professionnels susceptibles d’accroître le risque de cancer chez l’homme en les classifiant.
Pr Dominique Baudon
RÉFÉRENCES :
[1] Coureau G et coll. : Mobile phone use and brain tumours in the CERENAT case-control study Occupational and Environmental Medicine 2014, 71 (7) 514-522; DOI: 10.1136/oemed-2013-101754.
[2] https://www.cancer-environnement.fr/264-Cancer-du-cerveau.ce.aspx
[3] Frei P et coll. : Use of mobile phones and risk of brain tumours: Update of Danish cohort study. BMJ 2011; 343:d6387.
[4] Schüz J et coll. : Cellular Telephone Use and the Risk of Brain Tumors: Update of the UK Million Women Study. J Natl Cancer Inst. 2022 ; publication avancée en ligne le 22 mars. doi: 10.1093/jnci/djac042. PMID: 35350069
[5] http://www.lesondesmobiles.fr/
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