Article rédigé par Clément Mariotti Pons – franceinfo: sport
France Télévisions – Mis à jour le 16/04/2023 12:03
Le Suisse Marcel Hug avait été sacré champion paralympique du 1500 mètres en catégorie T54, le 31 août 2021, à Tokyo. (TAKEHIKO SUZUKI / AFP)
La tenue des Jeux olympiques et paralympiques en France à l’été 2024 s’accompagne d’une volonté de rendre plus accessible le sport pour les personnes en situation de handicap. Reste à résoudre la question parfois épineuse du prix du matériel.
Dans exactement 500 jours, la grand-messe du parasport a rendez-vous à Paris pour la première édition d’été des Jeux paralympiques en France.
Si le moment de divertissement sportif constitue, à lui seul, le cœur de cet événement international, en coulisses, on s’emploie déjà à dessiner un héritage tangible, à penser à l’après.
L’enjeu : inciter à la pratique sportive de manière durable, y compris pour les personnes en situation de handicap.
Le baromètre national des pratiques sportives de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), datant de 2018, est souvent pris en exemple pour souligner que 48% des personnes en situation de handicap ne pratiquent pas d’activité physique et sportive, contre 34% de la population générale.
Entre l’auto-censure, la problématique de l’accès à un club de proximité, des pathologies ou types de handicap complexes nécessitant des adaptations importantes, il existe une myriade de raisons pour comprendre ces chiffres.
Parmi elles, le frein financier que constitue la pratique d’une activité physique et sportive.
13 000 euros pour un fauteuil de compétition
Après un accident de scooter survenu en 2009, ayant entraîné une amputation d’une de ses jambes, David Séjor a décidé il y a un an et demi de se lancer dans le para athlétisme.
L’homme de 53 ans, ancien danseur professionnel – spécialité hip-hop – s’entraîne au Vallée de la Marne Athlétisme 77, un club situé à Torcy (Seine-et-Marne).
Avec ses quatre entraînements par semaine et l’appui de ses deux coachs, un pour la musculation, l’autre pour la piste, il progresse vite et participe aux championnats de France en salle en février 2022 (catégorie T54) sur 100 mètres.
« Actuellement, j’ai un fauteuil qui m’est prêté par le Conseil régional d’Île-de-France mais c’est vrai que pour viser plus haut, j’en aurais besoin d’un plus performant et adapté à ma morphologie », explique-t-il.
Depuis l’an passé, David s’est rapproché des temps réalisés par des athlètes en équipe de France, qui ne le distancent que de quelques secondes.
Mais pour entretenir son rêve de participer aux Jeux paralympiques à Paris, une montée en gamme est nécessaire. Problème : le coût exorbitant de ce matériel de pointe. « J’avais déjà pris les mesures et réalisé le devis, et il faut compter environ 13 000 euros pour ce nouveau fauteuil plus léger avec des roues en carbone », précise-t-il.
« C’est le prix d’une bonne voiture. J’ai discuté avec une personne qui fait du tennis, son fauteuil est à 15 000 euros.
Même le fauteuil qu’on m’a prêté, il coûte bien 6 000 euros. »
Pour surmonter cet obstacle, sa fille Beverly a lancé une cagnotte en ligne afin d’aider son père à réaliser son rêve.
La Poste de Brie-Comte-Robert, où David travaille, et des associations, lui ont également apporté leur soutien, en attendant éventuellement d’autres partenaires.
« Cet entre-deux, c’est ce qu’il y a de plus compliqué à gérer, c’est-à-dire ces personnes qui sont dans l’accès à la haute performance mais qui n’ont pas encore l’aura qui leur permet d’y être et d’avoir des sponsors », explique Guy Tisserant, trésorier adjoint à la Fédération française handisport (FFH) et quadruple champion paralympique de tennis de table en fauteuil.
« Elles n’ont pas encore les aides de l’Etat car elles ne sont pas encore des sportifs de haut niveau. »
La compensation du handicap, une notion fondamentale dans l’accès au sport
L’ancien pongiste a vu la pratique handisport beaucoup évoluer ces dernières années, dans le bon sens, mais il reste encore des choses à prendre en compte, notamment concernant la notion de compensation.
Inscrite dans la loi du 11 février 2005, elle prévoit que ce n’est pas uniquement à la personne en situation de handicap de s’adapter à l’environnement, mais également à l’environnement de répondre à des besoins spécifiques.
Une idée fondatrice qui contribue au changement de regard sur le handicap dans la société.
Des joueurs de basket fauteuil prennent part à une initiation lors de la journée paralympique, organisée Place de la Bastille à Paris, le 8 octobre 2022 (JULIEN DE ROSA / AFP)
Pour la FFH, comme pour la Fédération française de sport adapté (FFSA) et d’autres structures proposant des activités sportives à destination des personnes handicapées, l’objectif va être de « permettre à chaque personne, quelle que soit sa situation, de pratiquer dans des conditions satisfaisantes et les plus accessibles possibles », précise Guy Tisserant.
Pour avoir les moyens de son ambition partout sur le territoire, la FFH travaille avec l’État, les collectivités mais aussi des partenaires privés comme EDF – qui apporte un soutien financier puis logistique, et mène des actions de sensibilisation auprès du grand public.
Aux clubs affiliés ensuite de proposer un accompagnement adapté afin que le reste à charge soit le plus faible possible pour les quelque 35 000 détenteurs d’une licence – qui varie d’une trentaine d’euros en loisir à une soixantaine en compétition, quelque soit la nature du handicap.
Individualiser les parcours de vie pour mieux compenser le surcoût lié à la pratique sportive
Reste qu’entre deux personnes ayant le même handicap, l’accès à du matériel sportif peut varier.
Cela dépend du contexte de l’arrivée de ce handicap : par exemple, s’il est acquis au cours de la vie (accident ou autre) et que la faute est donnée à un tiers, des assurances vont pouvoir être mobilisées, prendre en charge et conditionner l’arrivée d’un capital financier, lequel pourra être – selon l’envie – utilisé pour pratiquer une activité physique et sportive.
Lorsque ce handicap est inné, le soutien financier et humain sera davantage apporté par les dispositifs relevant de la Sécurité sociale, donc du financement public, laissant souvent un reste à charge à la personne touchée.
Victime d’un accident de scooter alors qu’elle n’avait que 18 ans, qui a conduit à l’amputation de sa jambe gauche, la triple championne paralympique Marie-Amélie Le Fur, également présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF), confirme que le contexte d’arrivée du handicap a de l’importance.
Il n’en reste pas moins que pour elle, quelque soit sa nature, il doit y avoir une évolution sociale et sociétale pour compenser ce handicap.
« Nous avons mis en avant début avril une préconisation devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le projet de vie de la personne en situation de handicap en ce qui concerne l’accès au sport.
L’enjeu est de mieux déterminer – en l’interrogeant, en écoutant ses envies, son rapport au sport – la compensation financière du surcoût qui va être inhérent à la pratique sportive. »
« On est face à des personnes qui sont plus majoritairement que la population générale en situation de précarité financière. »
Marie-Amélie Le Fur, présidente du CPSF – à Franceinfo: sport
« Quand vous ne touchez que l’allocation aux adultes handicapés (AAH) mensuellement, vous n’avez pas une capacité financière de quelqu’un qui va travailler et être dans une catégorie socio-professionnelle plus haute.
Ce sont des facteurs qui s’accumulent et qui font que les personnes en situation de handicap, qu’il soit moteur, intellectuel ou psychique, n’ont pas les moyens financiers d’accéder au sport. »
Des outils ont été créés autour de l’accessibilité au parasport, avec notamment une enveloppe de deux millions d’euros mise à disposition par l’Agence nationale du sport (ANS).
Sur certains territoires, des Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH) intègrent le fait que le sport fait partie des projets de vie et prennent en charge certains matériels sportifs.
Des partenaires privés vont également s’engager. Mais c’est aussi du côté associatif que les solutions arrivent à émerger.
Alexandra Nouchet fait partie de la nouvelle génération d’athlètes tricolores au sein de l’équipe de France de para athlétisme.
En attendant les Mondiaux cet été au stade Charléty (8 au 17 juillet), la spécialiste du sprint et du saut en longueur (catégorie T63) peaufine son entraînement avec sa lame en carbone.
Née avec une malformation de la jambe droite, la jeune femme de 25 ans sait qu’elle doit beaucoup à l’association « Entr’aide » et son projet « Une lame pour courir ».
« À mes débuts en athlé, je pensais qu’une prothèse de sport comme j’avais, avec un pied légèrement dynamique, cela pouvait être suffisant, se souvient-elle.
J’étais loin du compte et rapidement mon coach m’a dit qu’il fallait que je pratique avec un matériel adapté, c’est-à-dire une lame.
Or, je partais de rien et c’était très onéreux [entre 7 et 10 000 euros pour une prothèse tibiale, sans mécanisme de genou] et pas facile de s’en procurer.
L’association – qui propose gratuitement des lames de course aux jeunes en situation de handicap afin qu’ils découvrent le sport dès l’âge de six ans – a accepté de faire une exception pour moi en me laissant en avoir une. »
Alexandra Nouchet lors d’une séance d’entraînement à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), le 7 février 2023. (DIDIER ECHELARD / FFH)
Le tissu associatif est donc capable de prendre le relais pour combler un déficit de l’engagement public.
Un modèle correctif semble néanmoins se mettre en place : en mars 2022, le gouvernement a décidé de réduire le taux de TVA à 5,5 % (au lieu de 20 %) pour les équipements de handisport.
Un pas en avant concède Marie-Amélie Le Fur, même si cette TVA ne s’applique « que sur le matériel et pas sur le coût humain, sur tout le travail du prothésiste qui va faire un travail d’ingénierie pour créer l’emboîture sur-mesure, la régler…
Ce sont tous ces coûts là qu’il faut arriver à lisser pour faire en sorte que le reste à charge soit le moins élevé possible.”
Rendre accessible le matériel sportif pour faciliter son industrialisation
Du côté des fabricants, cette baisse du taux de TVA n’a pas vraiment fait gonfler la demande.
« Ce n’est pas une réduction négligeable, il ne faut pas voir le verre à moitié vide, mais si on parle, par exemple, d’une prothèse pour courir ou faire du ski pouvant aller de 5 000 à 10 000 euros, ça ne la rend pas plus accessible pour autant », tempère Charles Henry, marketing manager au sein d’Ottobock France.
L’entreprise allemande est sponsor des Jeux paralympiques depuis 1988 mais aussi support technique pour les prothèses ou fauteuils des athlètes durant la compétition.
Aujourd’hui, elle est la seule à proposer une prothèse de pied de sport totalement prise en charge en France.
Pour ce qui est de la lame de course, dont le cahier des charges est différent, il faudra encore attendre un peu…
« On aimerait faire plus vite mais on est freinés par la capacité à vendre nos dispositifs.
Car moins les prix sont accessibles, moins on vend, moins on rentabilise nos frais. »
Néanmoins, Charles Henry sent que les choses avancent, en travaillant avec les établissements médico-sociaux – souvent le premier maillon de la chaîne – mais aussi des médecins qui portent la voix de l’accès au sport pour les personnes en situation de handicap.
« Si on refait cette discussion dans 10 ans, on aura une situation bien meilleure en termes de visibilité, avance-t-il. Le temps de faire changer les mentalités et le regard de la société. »