Publié le 30/09/2020

Il est acquis que les individus présentant un trouble lié à l’alcool sont à plus haut risque de développer une démence.

L’alcool induit une perte neuronale et une atrophie corticale, notamment au niveau du cortex frontal.

Le risque accru d’hypoglycémie, d’épilepsie, de dépression a aussi un impact dans la survenue des troubles cognitifs, tout comme des comorbidités liées à l’alcool telles qu’hypertension artérielle, coronaropathie, hépatopathie.

Si le rôle de la consommation globale d’alcool est bien établi, celui, plus spécifique, des pertes de conscience induites par l’intoxication alcoolique est encore imprécis.

Consommer de grandes quantités de boissons alcoolisées durant un court laps de temps peut conduire à des taux d’alcoolémie neurotoxiques, alors même que la consommation globale reste « acceptable ».

Peu d’études ont été consacrées aux effets des pertes de connaissance d’origine alcoolique chez des individus dont la prise globale restait modérée.

Un travail a été entrepris sur ce sujet, les données étant tirées de l’IPD-Work (Individual participant data meta-analysis inworking populations) qui regroupe 7 études de cohorte émanant du Royaume -Uni, de France, de Suède et de Finlande.

L’analyse des données recueillies a été faite entre Novembre 2016 et Mai 2020.

La consommation d’alcool de 131 415 hommes et femmes a été précisée et plus particulièrement étudiée pour 96 591 participants qui avaient rapporté une ou des pertes de connaissance liées à l’alcool.

Tous avaient été inclus dans IPD-Work entre 1986 et 2012, buvaient des boissons alcoolisées, n’étaient pas atteints, au départ, de démence.

Le volume de boissons et le mode de consommation ont été appréciés par auto-questionnaire.

Étaient reconnus gros consommateurs les individus dont l’ingestion d’alcool hebdomadaire dépassait 112 g, soit > 14 Unités (U).

Les consommateurs moyens se situaient, pour leur part, entre 1 et 14 U par semaine.

Le nombre éventuel de pertes de connaissance les 12 derniers mois a été noté, avec classement de leur fréquence, de 1, 2 à 3-4 voire davantage.

Dans le même temps de multiples renseignements étaient recueillis démographiques, sur le niveau d’éducation et professionnel, le tabagisme, l’activité physique, les comorbidités comme un diabète ou une hypertension, l’indice de masse corporel.

L’existence de démences a été déterminée par le biais de l’analyse des admissions hospitalières, des registres de décès et des ordonnances de médicaments comportant des molécules spécifiques, cette méthodologie pouvant, toutefois, sous-estimer la prévalence des démences diagnostiquées.

Celles-ci ont été classées en précoces, avant 65 ans et plus tardives.

Les codes internationaux ICD 10 permettaient de séparer au mieux les maladies d’Alzheimer et les démences liées à une maladie cardiovasculaire athéromateuse.

La cohorte globale comprend 131 415 personnes, dont 80 344 femmes (61,1 %) et 51 071 hommes (38,9 %).

Tous consommaient de l’alcool de façon habituelle. Leur âge, à l’entrée dans l’étude, était compris entre 18 et 77 ans, pour une valeur moyenne (DS) de 43,0 (10,4) ans ; 103 290 étaient des buveurs modérés et 28 125 de gros consommateurs d’alcool.

Il s’agissait alors préférentiellement d’hommes, avec tabagisme associé.

Une association entre forte consommation d’alcool et survenue d’une démence

Durant un suivi de 1 894 431 personnes-années à risque, soit un suivi moyen de 14,4 ans (allant de 13,3 à 30,1 ans), 1 081 sur 131 415 participants (0,8 %) ont développé une démence, toutes étiologies confondues.

L’âge de survenue des troubles variait de 27 à 94 ans et se situait en moyenne à 70,7(8,5) ans.

Après ajustements multiples, le Hazard Ratio, H R, correspondant à l’association démence-consommation forte de boissons alcoolisées (> 14 U/semaine), a été estimé à 1,16 (intervalle de confiance à 95 % IC : 0,98- 1,37) vs une prise de boissons hebdomadaires moindres (de 1 à 14 U/semaine).

Ce HR grimpe même à 1,22 (IC : 1,01- 1,40) pour les très gros buveurs, au-delà de 21 U hebdomadaires qui représentaient environ 13,3 % de la population globale de buveurs.

Sur les 96 591 participants ayant eu des pertes de conscience éventuellement liées à une intoxication actuelle, 77 064 (79,8 %) avaient, par ailleurs une consommation jugée modérée et 19 527 une forte consommation ; 10 004 (10,4 %) avaient signalé une ou des pertes de connaissance l’année précédente, 5 223 parmi les buveurs modérés et 4 781 parmi les gros consommateurs de boissons alcoolisées.

Ces personnes, victimes de perte de connaissance, buvaient préférentiellement des alcools forts et de la bière, et moins de vin.

En cas de perte de connaissance, le HR pour l’association avec une démence s’établit à 2,10 (IC : 1,42- 3,11), passant à 2,19 (IC : 1,40- 3,47) lorsque les pertes de connaissance étaient très répétées, en comparaison avec des buveurs n’ayant pas signalé de pertes de connaissance en rapport avec une prise excessive d’alcool.

La présence de pertes de connaissance multiplie donc par plus de 2 le risque de démence, que la consommation globale soit modérée ou plus conséquente.

Diverses analyses de sous-groupes et de sensibilité confirment les résultats globaux, quels que soient l’âge des individus, leur sexe, la survenue précoce ou tardive des troubles cognitifs, la nature de la démence vasculaire ou Alzheimer.

De plus une association significative a été décelée entre perte de connaissance et autres pathologies liées à l’alcool telles que toxicomanie, troubles de l’humeur, hépatopathies, hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral…, elles même ayant un impact sur la survenue d’une démence.

Le HR de l’association pertes de connaissance avec la maladie d’Alzheimer s’établit à 1,98 (IC : 1,28- 3,04) et celui avec les démences par maladie cardiovasculaire athéromateuse à 4,18 (IC : 1,80- 9,39).

Les pertes de conscience doublent le risque

Le point fondamental est ici la constatation que les pertes de conscience liées à l’alcool doublent le risque de survenue d’une démence ultérieure surtout vasculaire, que la consommation globale soit modérée ou massive.

Ces résultats rejoignent ceux de rares études antérieures menées à ce sujet qui avaient déjà alarmé sur la neuro toxicité de l’alcool.

De fait, ce dernier franchit la barrière hémato-encéphalique et, à haute concentration, a une toxicité neuronale directe ou via son métabolite, l’acétaldéhyde qui induit des dommages de par une libération excessive de glutamate.

Une action micro vasculaire est aussi possible, ce dont témoigne l’observation possible d’hypersignaux de la substance blanche.

Point notable, cette association perte de connaissance -démence reste présente après exclusion des cas survenus dans les 10 premières années du suivi, qui auraient pu inclure des démences pré cliniques non diagnostiquées.

Ce travail doit, cependant, donner lieu à quelques réserves. De par son mode de recueil des données, par auto-questionnaire, les pertes de connaissance ont pu avoir été sous estimées ; Il a pu en être de même des cas de démence.

De plus, les buveurs présentent davantage de chutes et de traumatismes crâniens, qui sont de facteurs indépendants du risque de démence.

Enfin, des travaux ultérieurs restent à venir pour généraliser ces données dans des pays ayant une culture de l’alcool différente de celle des pays étudiés, qui étaient tous à haut niveau de vie.

En conclusion, une consommation élevée d’alcool est associée à un risque 1,2 fois plus grand de voir survenir une démence, par comparaison avec une consommation plus modérée.

Surtout, la notion de pertes de connaissance liées à l’alcool, indépendamment de la consommation globale, majore d’un facteur de plus de 2 le risque de survenue de troubles démentiels, ce qui suggère que la façon de consommer de l’alcool joue un rôle important, à côté de la quantité globale ingérée.

En définitive, ces notions ne font que confirmer le retentissement nocif de l’alcool sur les structures cérébrales.

Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE: Kivimäk M et coll. : Association of Alcohol-Induced Loss of Consciousness and Overall Alcohol Consumption with Risk for Dementia. JAMA Netw Open. 2020. 3 (9) ; e 2016084.

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Un peu d’alcool, c’est mieux que rien (pour la démence !)