Publié le 27/12/2021
La pandémie de Covid-19 a eu, dans le monde entier, un effet négatif sur la santé physique et mentale des enfants et adolescents.
Parmi les conséquences délétères de l’infection à SARS-CoV-2, il est à signaler l’aggravation des troubles de la conduite alimentaire, tels une restriction calorique volontaire, des vomissements auto-induits, la majoration d’une dysmorphie corporelle…
Deux centres hospitaliers australiens ont, parallèlement, rapporté une hausse des hospitalisations pour anorexie mentale durant cette période.
On ignore toutefois s’il s’agit d’anorexies mentales de novo ou d’anorexies mentales atypiques.
H Agostino et coll. ont étudié l’incidence et la sévérité des anorexies mentales récentes et des anorexies atypiques auprès d’un échantillon national d’enfants et d’adolescents canadiens, avant et pendant la première vague de Covid-19.
Ce travail a consisté en une étude transversale réalisée dans 6 hôpitaux pédiatriques canadiens, couvrant 5 provinces des côtes Ouest et Est.
Il a porté sur les désordres alimentaires diagnostiqués entre le 1er janvier 2015 et le 30 novembre 2020, dont les refus alimentaires complets avec retentissement cardio vasculaire (bradycardie < 50 b/minute et/ ou pression artérielle systolique < 90 mm Hg).
Les patients inclus étaient âgés de 9 à 18 ans et avaient été diagnostiqués comme présentant une anorexie mentale récente ou une forme atypique caractérisée par un indice de masse corporelle (IMC) plus élevé que dans la forme typique.
Étaient exclus de l’étude les autres formes de troubles alimentaires (évitement alimentaire, boulimie, frénésie dans la prise d’aliments…) et les cas mal identifiés.
Les paramètres essentiels analysés étaient les taux d’incidence et d’hospitalisation.
La durée de la restriction alimentaire avant la prise en charge a été précisée ainsi que les signes d’alarme à l’admission, le pourcentage de variation de l’IMC et la vitesse de la perte pondérale.
La période de référence essentielle était celle du confinement pour Covid-19 débutée le 1er Mars 2020.
Elle a été comparée à une période pré endémique allant du 1er janvier 2015 au 28 Février 2020 en ce qui concerne les taux d’incidence et d’hospitalisation pour anorexie.
Une augmentation de plus de 60 % du nombre de cas
La cohorte d’étude inclut 1 883 enfants et adolescents, d’âge médian 15,9 (EIQ : 13,8- 16,9) ans. Il y a 91 % de filles (n = 1713) et 9,0 % de jeunes garçons (n = 170).
Durant les 5 années précédant la pandémie, les tendances évolutives n’avaient décelé aucune variation d’incidence (coefficient β = 0,043 ; p= 0,32).
Le nombre moyen de nouveaux cas était resté stable, à 24,5 (1,6) par mois.
A contrario, durant la première vague de Covid-19, on a noté une tendance haussière nette des nouveaux cas diagnostiqués (β passant à 5,97 ; p < 0,001) avec un nombre de nouveaux cas mensuels culminant à 40,6 (20,1), p < 0,001.
Les hospitalisations ont aussi été en très nette hausse (β = – 0,008 vs 3,23) avec un nombre moyen d’admissions passant de 7,5 (2,8) à 20,0 (9,8), soit un p très significatif à < 0,001.
Ce sont les hôpitaux des provinces de l’Ontario et du Québec qui ont enregistré les plus fortes variations, provinces également les plus touchées par la pandémie et les mesures de confinement.
Il a aussi été constaté une durée plus courte des symptômes restrictifs précédant le diagnostic et/ ou l’hospitalisation, en moyenne de 7,0 (4,2) mois face à 9,8 (7,4) mois auparavant.
On a relevé, également, des bradycardies plus marquées à l’admission, comparativement aux cas avant la pandémie, la moyenne se situant à 57 (15,8) battements par minute vs 63 (15,9) antérieurement (p<0,001).
Ainsi, durant la première vague de la pandémie de Covid-19 et en comparaison avec des données antérieures, pré- pandémiques, le nombre de nouveaux cas d’anorexie mentale ou d’anorexie atypique a augmenté de plus de 60 %, passant de 24,5 à 40,6 %.
Dans le même temps, le nombre d’hospitalisations triplait, de 7,5 à 20,0 %.
Il est à noter que ces fortes hausses étaient concomitantes des mesures de confinement établies pour lutter contre la pandémie et qu’elles ont été, essentiellement, observées dans les provinces de l’Ontario et du Québec, là où le taux d’infection et de mortalité liée au Covid a été majeur, obligeant à des mesures de prévention très strictes.
En contrepartie, l’Ouest canadien a été relativement épargné durant la première vague, avec un nombre de nouveaux cas d’anorexie plus faible.
Une origine multifactorielle
Les hausses observées semblent de nature multifactorielle.
Interviennent probablement une anxiété accrue, un sentiment d’isolement social et un contact plus réduit avec les équipes soignantes.
Les médias sociaux, via leurs messages anxiogènes, peuvent aussi avoir une part de responsabilité.
La fermeture des écoles, la réduction des activités non essentielles, avec leurs conséquences sur l’activité physique et les relations sociales des adolescents sont aussi à incriminer.
En outre, les enfants et adolescents avec troubles du comportement alimentaire présentent plus fréquemment des comorbidités psychopathologiques telles que dépression, trouble anxieux ou compulsif obsessionnel.
Ce travail incite à formuler quelques réserves.
Des facteurs confondants non pris en compte ont pu intervenir, sans lien de causalité possible.
Toutes les provinces canadiennes n’ont pas participé au recueil des données qui a surtout concerné les centres urbains.
Il a pu exister des biais de sélection pour les formes les plus sévères.
Les mesures de confinement et de fermeture des écoles ont varié dans tout le pays…
En conclusion, cette étude transversale révèle une augmentation nette de l’incidence et des hospitalisations pour les cas nouveaux d’anorexie mentale et les formes atypiques chez les enfants et adolescents canadiens lors de la première vague de pandémie de Covid-19.
En outre, il ressort de ce travail que les cas diagnostiqués sont d’évolution plus rapide et présentent davantage de critères de gravité.
Ces données soulignent la nécessité de mettre en œuvre, durant cette pandémie, des programmes ciblant la santé mentale ainsi que d’envisager la mise en place de mesures visant à combattre un isolement social prolongé.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCES : Agostino H et coll. : Trends in the Incidence of New-Onset Anorexia Nervosa and Atypical Anorexia Nervosa Among Youth During the Covid-19 Pandemia in Canada. JAMA Netw Open. 2012 4 (12) e : 2137395
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