Publié le 11/12/2021
Londres, le samedi 11 décembre 2021 – Il arrive que certaines décisions de justice remettent en cause la conception même que l’on se fait de la responsabilité civile.
Le Royaume-Uni est ainsi touché par une controverse juridique bien connue des Français.
Celle de l’indemnisation du préjudice lié à sa propre naissance.
Une procédure engagée contre le médecin de sa mère
Evie Tombes, née le 19 novembre 2001, est atteinte d’un lipomyéloméningocèle (spina bifida).
Touchée par de grandes difficultés motrices, elle souffre également d’incontinence, de constipation et doit en outre avoir recours à un tube naso-gastrique pour s’alimenter.
Une condition qui ne l’a pas empêchée de se hisser au sommet de l’équitation paralympique.
Star du saut d’obstacle, elle est parvenue à participer à de grandes compétitions internationales et est engagée dans la sensibilisation du public aux maladies invisibles.
Alors que sa mère effectuait une consultation le 21 février 2001 dans le cadre d’un projet de grossesse, son médecin traitant ne lui aurait pas indiqué de prendre de l’acide folique avant de débuter une grossesse, conseillant simplement de suivre un « bon régime alimentaire » avant sa grossesse.
Selon Evie Tombes, si sa mère avait été informée du risque d’une naissance avec un spina bifada, cette dernière aurait retardé sa conception le temps d’adapter son régime (de sorte qu’Evie Tombes ne serait tout simplement pas née).
C’est dans ce contexte que la championne d’équitation paralympique a engagé une procédure pour « wrongful conception ».
En clair, l’indemnisation du préjudice lié à au projet de grossesse.
« Wrongful conception » ou « wrongful life » ?
Les avocats du défendeur ont mis en avant le fait que cette procédure devait être considérée comme une demande d’indemnisation du préjudice lié au fait d’être en vie (wrongful life).
Une procédure théoriquement interdite par le Congenital Disabilities Act de 1976 et par la jurisprudence (McKay v Essex Health Authority [1982] 1 QB 1166 [CA]).
Toutefois, cette même loi autorise dans le même temps l’indemnisation du préjudice lié aux conséquences d’un handicap, lorsque cette condition est la conséquence d’un fait fautif (« occurrence ») intervenu avant la naissance.
Mais si ce fait recouvre généralement l’hypothèse d’une faute commise lors du suivi des soins au cours de la grossesse, la question posée à la Cour était de savoir si une procédure pouvait être engagée pour une faute commise au stade pré-conceptionnel, au moment où la patiente évoquait son projet de grossesse au praticien.
Une exception au principe ?
La Cour a fait droit à la demande d’Evie Toombes, estimant que le défaut d’information au cours de la consultation effectuée en février 2001 pouvait être considérée comme fautif et justifiant la requête de la plaignante.
Une décision qui pour certains juristes remet en cause un principe légal, sous réserve toutefois de prouver un lien de causalité entre un fait fautif et le maintien d’un projet parental.
Une jurisprudence qui rappelle les vives controverses liées en France à l’arrêt Perruche (arrêt de l’Assemblée Plénière du 17 novembre 2000) qui reconnaissait le préjudice lié à la perte de chance d’avoir recours à une IVG pour une patiente dont le fils était né avec un lourd handicap.
Une décision qui entraina l’adoption de l’article L.114-5 du Code de l’Action Sociale disposant que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».
Charles Haroche
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