Publié le 10/10/2020

Depuis les années 50, la planète a été frappée par trois pandémies d’infections respiratoires, la grippe « asiatique » de 1957-58, la grippe de Hong-Kong de 1967-68 et l’épidémie actuelle de Covid-19. Ces 3 pandémies diffèrent à la fois par leur impact sanitaire et surtout par leur perception par la population.

En termes de mortalité les deux pandémies grippales auraient tué, au total, entre deux et trois millions de terriens selon les meilleures sources (principalement des sujets relativement jeunes) sur une planète qui comptait à l’époque entre 2,8 et 3,5 milliards d’habitants (soit environ 0,5 pour mille terriens pour la grippe de 1957).

La pandémie actuelle de Covid-19 a tué, à la date où nous écrivons ces lignes, 1,05 million d’hommes, si l’on ne tient compte que des sujets PCR positifs et principalement des sujets âgés sur une planète qui compte 7,7 milliards d’habitants (soit, pour l’instant, environ 0,14 /mille terriens).

Et, si les deux pandémies grippales ne faisaient pas la une des journaux à leur époque, si elles n’ont pas laissé un souvenir impérissable dans l’esprit de leur contemporains et si le monde n’a pas été transformé après leur passage, la pandémie actuelle ouvre tous les journaux télévisés et est en passe de bouleverser durablement le monde par ses conséquences dramatiques économiques, sociales et culturelles.

Comment expliquer cette différence de perception et de réaction même en tenant compte du fait que la pandémie actuelle est loin d’être éteinte et que son bilan définitif ne peut donc être établi. En dehors de l’hypothèse en fait un peu simpliste selon laquelle ce virus rendrait fou, il nous faut évoquer plusieurs pistes.

En premier lieu nos outils très performants de surveillance (résultats épidémiologiques mondiaux, nationaux et locaux quotidiens) et de diagnostic génomique accessible à tous nous empêchent peut-être de prendre de la hauteur par rapport à l’événement et nous privent d’une mise en perspective.

En second lieu, l’existence même des services de réanimation qui permettent de réduire sensiblement (et heureusement) la létalité des formes graves, est en soi une des causes de notre désarroi collectif. Car aujourd’hui nous sommes prêts à tout (ou presque) pour éviter d’avoir à choisir qui sera réanimé, une question qui ne se posait évidemment pas en 1957 ou 1968, époques à laquelle les décès avaient lieu en service de médecine ou à domicile. Au point que cet éditorial a failli s’intituler : « La réa m’a tuer » avant que nous ayons renoncé à ce titre de crainte d’être mal compris.

Que l’on ne se méprenne pas, nous sommes les premiers à demander la réanimation pour nos malades (ou pour nous), si elle est peut-être utile, mais ceci ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux conséquences collectives de la subordination de tout à un impératif de ce type.

Enfin, et peut-être surtout, notre conception collective de la mort s’est métamorphosée et d’un événement naturel et inéluctable elle n’est presque plus considérée que comme un échec de la médecine.

Au-delà de ces considérations psycho-sociologiques globalisantes, il demeure qu’il nous faut sans doute éviter deux écueils, le quoi qu’il en coûte qui pourrait conduire à effondrer l’économie mondiale (et donc indirectement à menacer la vie de millions de nos contemporains) et le relativisme extrême qui nous pousserait à laisser mourir des patients fragiles pour préserver (un peu) la qualité de vie dans les pays développés…

La quadrature du cercle.

Dr Anastasia Roublev

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