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Aude Lecrubier, Steve Stiles 17 novembre 2020

Etats-Unis — Les effets indésirables souvent intolérables des statines, comme la faiblesse musculaire ou la douleur, seraient presque entièrement dus à un effet nocebo, selon le nouvel essai randomisé SAMSON (Self-Assessment Method for Statin Side-effects or Nocebo), présenté au congrès virtuel 2020 de l’American Heart Association (AHA)[1] et publié simultanément dans le New England Journal of Medicine[2].

Les nombreux patients qui signalent ces symptômes lorsqu’ils prennent des statines les ressentent probablement, mais ils sont le résultat de la prise des comprimés plutôt que d’effets pharmacologiques, concluent les chercheurs sur la base de leur essai sur 60 patients.

« SAMSON ne laisse aucun doute sur le fait que les patients ressentent vraiment des effets indésirables des comprimés de statines, mais ce que cela nous montre, c’est que 90% de ce fardeau symptomatique est aussi provoqué par les comprimés de placebo », a indiqué l’auteur principal de l’essai, le Pr James P. Howard (Imperial College London , Royaume-Uni), lors de la présentation des résultats.

Certains appellent toutefois à interpréter ces résultats avec prudence comme la Pr Francine K. Welty (Beth Israel Deaconess Medical Center, Boston) Invitée à commenter la présentation du Pr Howard, et le Pr Jean-Louis Montastruc (Directeur du Centre Midi-Pyrénées de PharmacoVigilance, de PharmacoEpidémiologie et d’Informations sur le Médicament et professeur de pharmacologie médicale à la Faculté de médecine de l’Université Toulouse III), qui a accepté de commenter ces résultats pour Medscape édition française.

« Tous les essais cliniques manquent de puissance pour évaluer les effets indésirables et cet essai de petite taille en particulier. L’essai clinique n’est pas la méthode adaptée pour évaluer un risque médicamenteux. Pour évaluer un risque médicamenteux, il y a d’une part l’alerte avec la notification spontanée et d’autre part  la quantification, avec les études de pharmaco-épidémiologie, les études cas-témoins et les études de cohorte », a indiqué le pharmacologue à Medscape édition française.

« Les effets indésirables musculaires liés aux statines sont souvent autour de 5 % dans les essais cliniques mais dans la vraie vie quand on interroge les malades, ils peuvent monter jusqu’à 40 %. Le nombre de patients qui prennent des statines, qui ont des douleurs musculaires et qui les attribuent à leur âge ou à de l’arthrose ou autre est considérable », précise-t-il.

Un essai ou chaque patient est son propre témoin

Dans l’essai SAMSON, les 60 patients enrôlés (25 femmes et 35 hommes, dont 90% d’origine caucasienne) avaient, par le passé, arrêté de prendre une statine en raison d’effets indésirables survenus dans les 2 semaines suivant la première dose.

Selon le protocole, cette fois, les participants ont chacun reçu de l’atorvastatine 20 mg / jour, un placebo ou rien pendant un mois, en alternant les schémas dans un ordre aléatoire sur un an afin que chacun soit suivi sur un total de quatre mois. Ni les patients, ni les médecins n’avaient connaissance de ce que recevaient les patients.

Les participants ont utilisé une application smartphone pour enregistrer la sévérité des effets indésirables (pas uniquement la douleur) sur une échelle de 0 (pas de symptômes) à 100 (insupportable).

Les patients qui présentaient des symptômes si sévères qu’ils étaient intolérables pouvaient arrêter le traitement du mois, avec des instructions pour reprendre les schémas dans l’ordre à partir du mois suivant.

Il en ressort que onze patients n’ont pas pu terminer les 12 séquences d’un mois de l’essai.

Concernant les scores d’intensité des symptômes, ils étaient en moyenne de 16,3 pour l’atorvastatine et de 15,4 pour le placebo (différence non significative), et de seulement 8,0 pour les mois sans comprimé (P <0,001 par rapport à la statine ou au placebo).

Le « rapport nocebo» global de l’étude était de 0,90. Il a été calculé comme la différence entre les scores d’intensité des symptômes sous placebo et sans traitement, divisée par la différence entre l’intensité des symptômes sous statine et sans traitement.

Étant donné que les symptômes semblent être influencés par les attentes des patients vis-à-vis du traitement par statine, une communication positive sur l’intérêt des médicaments […] peut jouer un rôle important sur l’observance, concluent les chercheurs.

« Le plus important est d’expliquer les données, et quelles sont nos attentes, peut-être se montrer un peu plus optimiste sur les statines, et de dire aux patients qu’il est très peu probable qu’ils souffrent d’effets secondaires », explique le Pr Howard qui ajoute « parce que l’effet nocebo survient uniquement si les patients s’attendent à se sentir moins bien, tout comme l’effet placebo ne survient que si les gens s’attendent à se sentir mieux. »

Des limites méthodologiques

Invitée à commenter la présentation du Pr Howard, le Pr Francine K. Welty (Beth Israel Deaconess Medical Center, Boston) a jugé que « ces résultats ne pouvaient pas être généralisés » car dans la pratique de nombreux patients qui signalent des effets indésirables sur les statines le font plus de 2 semaines après le début du traitement.

Or, les résultats de l’essai, a déclaré Welty, « sont limités aux sujets qui avaient développé des symptômes dans les 2 semaines suivant l’initiation d’un traitement par statine. »

Le fait d’inclure uniquement ces patients peut avoir créé un biais en faveur d’un effet nocebo, a-t-elle souligné, car « les effets indésirables non liés aux médicaments sont souvent plus importants pendant les premières semaines de traitement et ont tendance à s’atténuer avec le temps » Par exemple, «la metformine provoque des diarrhées et les bêtabloquants de la fatigue, mais les sujets s’adaptent et les tolèrent généralement très bien».

Pour sa part, le Pr Montastruc souligne que « le fait que les participants connaissent l’objet de l’étude (survenue des effets indésirables musculaires) a pu aussi largement biaiser les résultats ».

Sans compter que le fait d’avoir eu des effets indésirables au cours d’un traitement par statines par le passé peut en soi induire un effet nocebo puisque les patients s’attendent à ressentir les mêmes symptômes que précédemment.

Enfin, ces résultats demanderaient à être reproduits avec d’autres statines.

Quelle signification en pratique ?

Lorsque les chercheurs ont montré aux patients leur profil de symptômes en fonction du fait qu’ils prenaient la statine, le placebo ou aucun des deux, nombreux sont ceux qui ont repris leur traitement

« Les participants ont pu voir aussi clairement que nous le pouvions l’ampleur étonnamment puissante de l’effet nocebo. Et cela a conduit la moitié de nos patients à redémarrer les statines », a indiqué le Pr Howard.

« Ceux qui développent des symptômes dans les 2 semaines suivant le début d’une statine doivent être rassurés qu’environ la moitié sera en mesure de redémarrer avec succès la statine », en déduit pour sa part le Pr Welty.

SAMSON a été financée par la British Heart Foundation. Howard n’a pas déclaré de liens d’intérêt. Welty dit assurer la présidence du comité de surveillance de la sécurité des données pour les essais cliniques internationaux sur l’empagliflozine, avec le soutien de Boehringer Ingelheim.

Liens

  • Références
    – American Heart Association Scientific Sessions 2020. LBS.04. Présenté le 15 novembre 2020.

– N Engl J Med. November 15, 2020. Abstract

Citer cet article: L’essai SAMSON attribue la plupart des effets indésirables des statines à un effet nocebo – Medscape – 17 nov 2020.