NATURE HUMAINE – 17 août 2021
L’entraînement polarisé est-il si hot qu’on le dit ?
Entraînement par intervalles Méthode d’entraînement Plan d’entraînement Polarisé Seuil anaérobie Seuil lactique Seuil ventilatoire
L’approche la plus hot présentement dans l’entraînement en sports d’endurance est manifestement l’entraînement polarisé. Que faut-il en penser ?
On s’entraîne de façon polarisée quand notre plan d’entraînement ne comprend que des séances où l’intensité de l’effort se situe aux pôles supérieur et inférieur, mais le moins possible entre ces deux pôles.
Il s’agit de passer environ 20 % de notre temps global d’entraînement à des intensités supérieures à celle correspondant au second seuil ventilatoire (zone 3), et environ 80 % à des intensités inférieures à celle correspondant au premier seuil ventilatoire (zone 1).
Autrement dit, en polarisé, on évite la zone d’intensités proches du seuil anaérobie, communément appelée sweet spot (zone 2).
Pour vous donner une idée de la fourchette des intensités de la zone 2, chez des athlètes en bonne forme et dont la fréquence cardiaque maximale (FCM) est comprise entre 182 et 187 battements par minute (bpm), la zone 2 va d’environ 78 % de leur FCM à 91 % de leur FCM, soit en moyenne de 144 bpm à 168 bpm.
De plus en plus de rapports de recherche indiquent que les plans d’entraînement polarisé améliorent davantage l’aptitude aérobie et la performance que les plans d’entraînement mettant plutôt l’accent sur la zone 2.
Voir notamment La nouvelle méthode pour améliorer l’endurance : l’entraînement polarisé, où l’on rapporte que comparativement à un plan d’entraînement mettant l’accent sur le sweet spot, un plan polarisé s’accompagne d’une plus grande augmentation du VO2max (+ 6,8 ml/kg/min, soit 11,7 %), de la durée de l’effort à un test progressif et maximal (+ 17,4 %), et de la puissance ou vitesse aérobie maximale (+ 5,1 %).
En fait, les sujets qui avaient fait pas mal d’entraînement en zone 2 ont vu leur VO2max diminuer de 4,1 % !
Je trouve plutôt amusant que ces études contredisent en quelque sorte l’idée (qu’on trouve depuis des décennies dans un tas de chroniques sportives) voulant que pour s’améliorer en sports d’endurance, il faut mettre l’accent sur le travail dans une fourchette d’intensités proches du seuil anaérobie.
Si plusieurs personnes ont si longtemps valorisé l’entraînement au seuil anaérobie, c’est surtout parce qu’elles croient que c’est la meilleure façon de repousser ce seuil vers le haut.
Trop souvent, ce sont des séances où les fractions d’effort sont plutôt longues et peu nombreuses.
Elles demandent beaucoup de motivation et peuvent générer une grande fatigue mentale tout autant que physique.
Depuis que des rapports de recherche pointent globalement vers la conclusion que l’entraînement polarisé améliore davantage la performance que l’entraînement au seuil, beaucoup d’entraîneurs qui suivent la littérature scientifique pertinente abandonnent l’entraînement au seuil (dorénavant démonisé !) pour miser sur l’entraînement polarisé (dorénavant encensé !).
Sur les terrains de sport, on a en effet rapidement basculé d’une forme à l’autre d’entraînement et ce, sans trop se poser de questions.
Il faudrait pourtant faire preuve d’esprit critique, et réaliser qu’il existe beaucoup d’importantes questions pour l’instant sans réponse :
- L’entraînement pyramidal aurait-il des effets encore plus grands si l’intensité des fractions d’effort en zone 3 était plus élevée ? Je crois que oui ; voir notamment : Intensité d’entraînement : infra-maximale ou supra-maximale ?
- Si 80 % en zone 1 et 20 % en zone 3 donne de bons résultats, pourquoi ne pas essayer une formule plus extrême, p. ex. moins de 50 % en zone 1, et plus de 50 % en zone 3 ? À ma connaissance, aucun scientifique ne s’est penché sur cette question jusqu’à maintenant. Pourtant, on sait que les très longues séances d’entraînement à faible intensité réduisent la capacité anaérobie, qui est un déterminant non-négligeable de la performance dans plusieurs sports d’endurance.
- Pendant l’entraînement en zone 1, y a-t-il une intensité minimale requise ? Je crois qu’à des intensités inférieures à celle correspondant à 50 % du VO2max, on ne sollicite pas suffisamment le système cardiorespiratoire pour vraiment l’améliorer.
- Est-ce parce que les séances sweet spot sont mal planifiées que les recherches révélant la supériorité de l’entraînement polarisé font croire qu’il faut éviter l’entraînement au seuil anaérobie ?
Dans la plupart des études comparant les approches polarisées et au seuil anaérobie, les protocoles d’entraînement au seuil ne me semblent pas très bons : les fractions d’effort sont longues et peu nombreuses. Plutôt que de prescrire des séances comme par exemple 3 x 20 minutes à 75 % de la puissance aérobie maximale (avec quelques minutes de repos actif), je miserais sur des formules comme par exemple celle-ci : 30 x 1 min 30 s à 85 % de la puissance ou de la vitesse aérobie maximale, avec une seule minute de repos actif entre les répétitions.
Si l’entraînement polarisé semble meilleur que l’entraînement au seuil, ce n’est peut-être pas parce qu’il est polarisé. C’est peut-être parce qu’il comprend des séances des séances d’entraînement par intervalles.
Il faudra mener d’autres recherches pour mieux cerner la meilleure approche.
En attendant, je crois que toutes les intensités d’effort supérieures à 75 % de la puissance ou de la vitesse aérobie maximale sont utiles (même celles entre le premier et le second seuil ventilatoire), et qu’il faut donner la préférence aux séances comprenant un grand nombre de courtes répétitions.
Je crois aussi qu’il ne faut pas négliger les séances intermittentes avec de brèves (30 s et moins) fractions d’effort à très haute intensité.
On sait maintenant que de telles séances de répétition de sprints améliorent non seulement la capacité anaérobie, mais aussi l’aptitude aérobie (le VO2max et l’endurance).
Quelques références pertinentes
Polarized vs. High Intensity Multimodal Training in Recreational Runners (2018)
Training for Intense Exercise Performance : High-Intensity or High-Volume Training ? (2010)
Does Polarized Training Improve Performance in Recreational Runners ? (2014)