Gérer le trouble de personnalité limite en centre jeunesse: un défi pour les intervenants https://neo.uqtr.ca/wp-content/themes/newsgamer-child/images/neo-uqtr-v.png UQTR

09 JANVIER 2019  MICHEL LAMY ERGOTHÉRAPIERECHERCHESANTÉ

Comment vous sentez-vous ? Cette question, on ne peut plus répandue chez les professionnels de la santé mentale, est d’une aide précieuse lorsque vient le temps d’orienter le traitement des patients. Or, il s’avère que cette formule peut être d’une utilité surprenante pour aider les intervenants aux prises avec des cas difficiles.

Les centres jeunesse constituent un contexte particulier pour les intervenants. Souvent, les adolescents qui s’y trouvent n’ont pas demandé à y être admis, et ne sont pas toujours enclins à collaborer avec le personnel. Aussi, une partie de ces jeunes est aux prises avec des troubles mentaux, incluant le trouble de personnalité limite.

« Le trouble de personnalité limite, c’est une pathologie qui a comme principal symptôme la difficulté à gérer les émotions.

Le mot clé avec le trouble de personnalité limite, c’est l’instabilité. Les personnes qui présentent ce trouble de santé mentale sont instables dans leurs comportements, leurs émotions, leurs relations, leur perception d’eux-mêmes et leur façon de penser. L’émotion dominante est souvent la colère, ce sont des personnes très réactives », explique Lyne Desrosiers, professeure au Département d’ergothérapie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Une relation difficile

Clinicienne d’expérience, Mme Desrosiers a travaillé pendant plusieurs années auprès d’adolescents présentant un trouble de personnalité limite. Selon ses observations, la relation que ceux-ci développent avec les intervenants est parfois difficile. Il leur arrive d’être méprisants, et même d’attaquer verbalement ou physiquement les intervenants, d’adopter des comportements qui mettent leur santé en danger ou au contraire de solliciter beaucoup d’attention. Selon la professeure, ce genre de comportement ne peut faire autrement qu’activer émotionnellement les intervenants, de sorte qu’ils peuvent développer de la colère, de l’inquiétude ou un sentiment d’impuissance à l’égard de ces jeunes.

« C’est la clientèle la plus stigmatisée chez les professionnels de la santé et des services sociaux. Les personnes présentant un trouble de personnalité limite font l’objet de préjugés tenaces, ce qui affecte la relation d’aide. Cela fait en sorte que des interventions qui devraient aider ces personnes ont parfois l’effet inverse », remarque Mme Desrosiers.

https://neo.uqtr.ca/wp-content/uploads/2019/01/lyne-desrosiers-ergotherapie-300x200.jpgLyne Desrosiers, professeure au Département d’ergothérapie de l’UQTR.

Sur le terrain

Dans le cadre de ses études postdoctorales, la professeure Desrosiers s’est rendue dans un centre jeunesse pour mieux comprendre les services en santé mentale offerts aux jeunes présentant un trouble de personnalité limite. La responsable des services en santé mentale de l’établissement a rapidement fait appel à son expertise clinique, dans le but d’aider son équipe. La chercheuse n’a alors pas tardé à constater que les intervenants des unités de réadaptation étaient en détresse.

Le principal problème était la difficulté inhérente aux interventions reliées au trouble de personnalité limite. En effet, la situation était telle que les intervenants développaient des sentiments négatifs à l’égard de ces adolescents. Aux yeux de Mme Desrosiers, il devenait alors impératif de prendre en compte l’état des intervenants. Elle en est alors venue à la conclusion que pour améliorer les interventions faites auprès de ces adolescents, il fallait d’abord aider les intervenants.

C’est dans cette perspective que la professeure de l’UQTR a développé le projet de formation Tango. En s’appuyant sur les principes de la thérapie comportementale dialectique, reconnue parmi les plus efficaces dans le cas du trouble de personnalité limite, la formation mise au point par Mme Desrosiers enseigne aux intervenants des stratégies pour diminuer leur propre activation émotionnelle en contexte d’intervention. Cette formation vise également à diminuer leurs préjugés, et à modifier leurs perceptions à l’égard de cette clientèle.

« Dans le tango, il y a deux danseurs. Bien sûr, il y a toujours un des deux qui mène la danse, mais ça prend beaucoup d’écoute de part et d’autre pour que le pas soit harmonieux », souligne la chercheuse.

La formation Tango se divise en deux volets. Le premier bloc, d’une durée de 12 heures, s’appuie sur une approche expérientielle : les intervenants qui y prennent part vont par exemple s’adonner à des jeux de rôles. Après chaque rencontre, l’intervenant est appelé à expérimenter les stratégies apprises dans son contexte clinique. Le second bloc, d’une durée de sept heures, correspond quant à lui à une période de supervision afin de favoriser la généralisation des apprentissages.

Sur la bonne voie

Selon Lyne Desrosiers, les résultats obtenus par le projet de formation Tango sont prometteurs. D’abord, elle note une amélioration de la perception du trouble de personnalité limite chez les intervenants. Elle ajoute à cela que les intervenants rapportent une légère baisse de leur sentiment d’épuisement professionnel, et une meilleure conscience de leurs émotions. Ce dernier point s’est traduit dans une unité par une diminution de 90 % de l’utilisation des mesures particulières (notamment la mise en retrait) dans les interventions.

La professeure fait également ressortir que les intervenants des centres jeunesse se décrivent comme étant plutôt en contrôle de leurs émotions et moins enclins à ressentir des émotions négatives à l’égard des jeunes comparativement aux autres professionnels qui travaillent auprès de cette clientèle. Ce résultat surprend puisqu’ils sont beaucoup plus exposés à des situations d’agression. Les analyses qualitatives suggèrent qu’il pourrait s’agir d’une stratégie défensive pour s’adapter à des contextes d’interventions où il peut être risqué de se montrer vulnérable, voire mal vu par les collègues. Cette découverte est donc un argument supplémentaire en faveur de la formation.

Autre développement intéressant, des équipes d’intervention de première ligne ont demandé à être formées selon l’approche développée par la professeure. Il semble donc que le projet de formation Tango réponde à un besoin évident chez les professionnels de la santé mentale.

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