Publié le 06/12/2021
Le paracétamol est un produit très largement utilisé, avec ou sans prescription, dans le traitement de la douleur et de la fièvre, y compris durant la grossesse.
Les agences du médicaments, FDA aux Etats-Unis et EMA en Europe, ont longtemps estimé qu’il exposait à un risque minime.
Néanmoins, en France, le CRAT recommande la prudence :
« Il est possible d’utiliser le paracétamol quel que soit le terme de la grossesse.
Une utilisation à la posologie minimum efficace et pour la durée la plus brève possible est toujours préférable.
Dans le cas contraire, une alternative thérapeutique est peut-être nécessaire. »
Un groupe de treize experts indépendants, américains et européens, composé de cliniciens (neurologues, gynécologues-obstétriciens, pédiatres), d’épidémiologistes, et de chercheurs (toxicologues, endocrinologues, médecins de la reproduction ou du neuro-développement) se sont réunis pour faire le point sur le sujet.
Ils ont effectué une vaste revue des études publiées ces vingt-cinq dernières années, publications épidémiologiques et expérimentales, impliquant le paracétamol seul.
Le paracétamol est un perturbateur endocrinien
Les perturbateurs endocriniens peuvent modifier les activités hormonales essentielles au développement neurologique, uro-génital ou reproductif.
Le paracétamol franchit la barrière placentaire, ainsi que la barrière hémato-encéphalique.
Les mécanismes d’action qui sous-tendent ses propriétés analgésiques et antipyrétiques ne sont pas clairement connus, ils sont périphériques et centraux.
Il inhibe l’activité de prostaglandines qui ont un rôle important dans le développement des gonades et du cerveau.
Des études expérimentales ont montré que le paracétamol diminue la production des androgènes, augmente celle des œstrogènes, et perturbe la stéroïdogénèse.
Ces mécanismes, indépendamment du paracétamol, sont impliqués dans les perturbations du neuro-développement et de la fonction reproductive.
Le paracétamol possède les caractéristiques d’un perturbateur endocrinien ; néanmoins, les mécanismes qui, via les prostaglandines et les stéroïdes, seraient impliqués dans des troubles du développement neurologique ou reproductif foetal, sont complexes et imparfaitement connus.
Effets uro-génitaux et reproductifs potentiels
Bien que certaines études n’aient pas retrouvé d’effet, les preuves s’accumulent pour penser que l’exposition prénatale au paracétamol peut perturber, chez l’animal comme chez l’homme, le développement de l’appareil reproducteur des deux sexes.
Onze études observationnelles ont été menées sur six cohortes, totalisant plus de 130 000 couples mère-enfant de différentes régions du monde.
– Cinq de ces études ont suggéré que l’exposition prénatale au paracétamol était associée à des anomalies du développement de l’appareil uro-génital et reproductif masculin : cryptorchidie, et réduction de la distance ano-génitale (AGD) qui est un marqueur de la masculinisation génitale.
La réduction de l’AGD a été retrouvée après des expositions prénatales au paracétamol entre la 8ème et la 14ème semaine de grossesse, coïncidant à la période de la masculinisation.
Les cryptorchidies étaient liées à des expositions au paracétamol prolongées (> 2 semaines), qui avaient eu lieu entre la fin du 1er trimestre et le début du deuxième.
– Quatre études ont trouvé une augmentation du risque d’hypospadias.
– Une étude a suggéré que l’exposition prénatale au paracétamol était associée au risque de puberté précoce.
De manière cohérente avec les preuves épidémiologiques, diverses études expérimentales montrent que l’exposition au paracétamol est liée à des anomalies de la fonction testiculaire, du sperme, et du développement reproductif masculin.
Ces études suggèrent que plusieurs mécanismes d’action pourraient être responsables de la diminution des hormones indispensables au développement reproductif normal, ainsi que de l’inhibition de la prolifération et la différenciation des cellules germinales.
Des divergences et des incohérences persistent, mais des preuves solides issues des études sur les rongeurs, ou sur des cellules et des tissus humains, ont montré que des expositions au paracétamol, qu’elles soient de courte ou de longue durée, étaient responsables d’une diminution des androgènes fœtaux.
Quatre équipes indépendantes, à partir de modèles animaux, ont montré que l’exposition prénatale au paracétamol pouvait diminuer la fertilité féminine, en réduisant le nombre de cellules germinales primordiales, et en retardant l’entrée dans la méïose, conduisant ainsi à une réduction du nombre des follicules chez la femme adulte.
Effets potentiels sur le neuro-développement
Sur 29 études observationnelles portant sur 14 cohortes et totalisant 220 000 couples mère-enfant, 26 ont identifié une association positive entre l’exposition prénatale au paracétamol et une série de symptômes : en premier lieu des troubles de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), mais aussi des troubles du spectre de l’autisme (TSA), des retards du langage, etc…
Un « effet-dose » a été recherché dans 19 de ces études et retrouvé dans 16 d’entre-elles.
L’augmentation du risque était aussi liée à la durée d’exposition.
Dans la plupart de ces études, une exposition courte n’était que faiblement associée à un risque.
La plupart des études retrouvaient que le risque était lié à une exposition aux 2ème et le 3ème trimestre de la grossesse.
Les résultats de ces études sont limités par de nombreux facteurs confondants, à commencer par l’indication du traitement, et d’autres, dont des facteurs génétiques.
Une étude faite en 2021 a évalué l’association entre les taux des métabolites du paracétamol dans le sang du cordon et le diagnostic clinique de TDAH, TSA, etc.
Les taux les plus élevés des métabolites du paracétamol étaient associés aux risques les plus élevés de TDAH et de TSA.
Une étude canadienne faite en 2020 a montré que la présence de paracétamol dans le méconium était associée à un doublement du risque de TDAH.
Les études expérimentales faites sur les rongeurs ont suggéré que l’exposition prénatale au paracétamol, même à faibles doses, augmentait le risque d’anomalies cérébrales ou de troubles du comportement.
L’exposition prolongée entraînerait une accumulation du paracétamol dans le cerveau fœtal du rat.
Ces études chez l’animal se heurtent aux difficultés qu’il y a à étudier des modifications du comportement d’un rongeur comparables à celles d’un humain.
En conclusion, les auteurs de ce travail demandent que de nouvelles études concernant les risques fœtaux du paracétamol soient entreprises rapidement, afin d’apporter aux femmes enceintes des recommandations médicales fondées sur des preuves.
Dr Catherine Vicariot
RÉFÉRENCE: Bauer AZ et coll. : Paracetamol use during pregnancy a call of precautionary action. Nat Rev Endocrinol. 2021; 17(12): 757–766. doi.org/10.1038/ s41574-021-00553-7
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