Accueil Equipement – Entretien  électronique embarquée  GPS

Derrière l’agression russe, la résistance héroïque de l’Ukraine, la tragédie des victimes civiles et les destructions massives, se livre une guerre électronique.

Elle concerne non seulement les transmissions, les radars et les observations dans les différents spectres électromagnétiques mais aussi le positionnement par satellites.

Lorsque celui-ci est sujet au brouillage ou au leurrage, le Loran – vieux système de navigation hyperbolique remis au goût du jour – prend le relais.

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La couverture Loran (Chayka) de la Russie est importante sur ses littoraux – dont la mer Noire – et à l’Ouest dont l’Ukraine.

Elle y a développé le Loran de manière à pouvoir se passer du GLONASS. | (© RNTFND.ORG)

Olivier CHAPUIS. Publié le 18/03/2022 à 12h43

Dans les jours qui ont précédé l’invasion russe du 24 février 2022, les rapports de brouillage du GPS aux frontières de l’Ukraine se sont multipliés.

Depuis le 6 mars, c’est en Finlande que les communiqués de l’aviation civile mentionnent des perturbations du positionnement mettant potentiellement en danger les appareils et leurs passagers.

Elles ont entraîné des annulations de vols et d’autres états voisins de la Baltique ou de la Méditerranée déplorent de telles détériorations des signaux.

Ces dégradations dépassent largement le cadre des fréquences GPS, les radars des avions de surveillance de l’Otan qui sillonnent le ciel à l’Est de l’Europe étant notamment ciblés par les Russes.

Le brouillage (jamming) ou leurrage (spoofing) par la Russie du Global Positioning System (GPS) américain et des autres composantes du GNSS (Global Navigation Satellite System) que sont l’Européen Galileo ou le GLONASS russe (Global Orbitography Navigation Satellites System) sont documentés de longue date sur notre site où j’ai souvent évoqué la Guerre Par Satellite.

Je l’avais fait en 2017 à propos de la mer Noire dont toute la partie septentrionale est aujourd’hui sous blocus russe pour asphyxier l’Ukraine au point d’y couler des navires étrangers.

Ces dernières années, Moscou avait beaucoup pratiqué ces parasitages en Syrie et en Méditerranée orientale.

Si le GPS III est mieux armé face à ces menaces – lesquelles ont été récemment testées par Galileo dont on se souvient de la panne mémorable du 11 au 18 juillet 2019 -, le leurrage, plus grave et pernicieux que le brouillage, n’en est pas moins assez aisé.

Il peut conduire à des positions totalement fantaisistes, non seulement pour tromper un guidage de missile ou de drone (dont on peut aussi perturber le signal entre l’appareil et sa station de pilotage à distance) mais aussi pour leurrer toute une série d’applications militaires et civiles recourant à un système de positionnement par satellites.

Un mur électromagnétique

Parce qu’il s’agit de gêner l’ennemi et non ses propres troupes ou infrastructures civiles – rappelons que l’horodatage de l’énergie, des transports et des transferts financiers, entre autres, dépend de l’horloge des satellites de positionnement (ne parlons pas ici des engins autonomes dont la floraison en temps de paix devra être revue à l’aune de cette guerre et de ses conséquences sur la géolocalisation de tous nos mobiles…) -, le parasitage reste localisé et limité dans le temps.

Le plus souvent, il s’agit d’émetteurs embarqués sur des camions capables de brouiller les récepteurs dans un rayon de moins d’une centaine de kilomètres.

La coordination de ces émetteurs mobiles, émettant par exemple à une puissance de 5 kW pendant 5 minutes, permet non seulement d’aveugler les capteurs ennemis mais aussi de générer un véritable mur électromagnétique pour couvrir une attaque en cours.

Il est plus difficile de s’en prendre au GPS militaire, crypté et doté de récepteurs renforcés, voire de toucher en une fois tout un GNSS sur un vaste territoire.

Sauf à viser directement les nombreux satellites eux-mêmes. Ceux-ci peuvent être aveuglés depuis le sol.

Mais la destruction d’un satellite, testée par la Chine en 2007, puis par l’Inde et très récemment, en novembre 2021, par la Russie est un acte irresponsable, à double tranchant : les débris qui en découlent touchent sans distinction tous les autres satellites… y compris les siens.

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Depuis des années – ici en mars 2019 près de Luhansk mais aussi en Syrie contre les drones turcs dont sont équipés les Ukrainiens – la Russie utilise ces camions de brouillage et de leurrage. | (© OSCE)

Pour autant, ces mesures russes qui ont été importantes dans l’offensive éclair menée le 24 février 2022 afin de prendre en une seule journée le contrôle du ciel ukrainien semblent insuffisantes au vu des résultats très mitigés après trois semaines de combats.

La partie visible consiste surtout en bombardements terrifiants des civils, en considérables destructions dans les villes et en actes susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre.

Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, l’armée ukrainienne s’est équipée auprès des États-Unis en moyens de contre-mesures.

Ils permettent notamment de brouiller les communications des Russes ou de détourner de leurs cibles les missiles, y compris en contrant les télémesures de systèmes de guidage de précision quand les Ukrainiens ne les détruisent pas en vol.

Cependant, beaucoup atteignent des bâtiments civils et vu leur nombre, il ne saurait s’agir à chaque fois d’accidents liés à des erreurs de tir ou à ces détournements.

L’aide américaine s’est considérablement renforcée ces dernières semaines et elle continue de croître en cette mi-mars. Outre les avions de l’Otan, des drones voleraient ainsi aux confins de l’espace aérien ukrainien et au-dessus de la mer Noire pour perturber les communications.

Ceux dotés d’armes électromagnétiques puissantes peuvent même endommager les équipements électroniques des Russes.

Cette guerre secrète complète la cyberguerre qui se livre sur un théâtre d’opérations bien plus large puisqu’il est potentiellement mondial.

Là aussi, l’Ukraine bénéficie de la force de frappe américaine, militaire et civile.

Microsoft aide ainsi les Ukrainiens à contrer les cyberattaques russes et la constellation Starlink de SpaceX leur garantit des connexions internet à haut débit en dépit des destructions considérables de leurs infrastructures terrestres.

Avant l’invasion de l’Ukraine, les Russes ont renforcé leur système de navigation Loran.

Mais revenons au positionnement (où les centrales inertielles restent essentielles).

Avant l’invasion de l’Ukraine, les Russes ont renforcé leur Loran. Le Loran (Long Range Navigation) est un système de navigation hyperbolique imaginé en 1940 aux États-Unis (Loran-A) et entré en service pendant la Seconde Guerre mondiale.

Son principe consiste à utiliser une chaîne d’émetteurs terrestres et à mesurer avec le récepteur embarqué le temps de propagation de leurs émissions pulsées, les différences égales des temps mesurés étant traduites géographiquement par des courbes hyperboles dont les intersections fournissent une position.

Jusqu’au lancement des premiers systèmes de navigation par satellites d’une couverture planétaire, le Loran-C a été essentiel en navigation électronique régionale aux côtés de nombreux autres systèmes.

Pourtant, l’Amérique du Nord et l’Europe l’ont laissé tomber depuis le début des années 2000.

Certes, depuis une dizaine d’années et en particulier depuis l’invasion de la Crimée en 2014, des lobbyistes très actifs aux États-Unis ont compris l’intérêt du eLoran (enhanced Loran ou Loran augmenté) contre les hackers, ledit eLoran étant beaucoup plus qu’une simple mise à jour du Loran-C en matière d’intégrité et de précision.

En cette même année 2014, le Royaume-Uni avait demandé à la France d’assurer le maintien de ses stations Loran-C pour garantir une couverture sur l’Atlantique Nord et la Méditerranée en vue de développer un eLoran européen.

Mais le Brexit est passé par là et l’Europe est gravement en panne sur cette indispensable redondance d’un système de navigation non dépendant des satellites…

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Les Russes ont soigneusement déployé un réseau eLoran autour de l’Ukraine avant d’engager les hostilités comme en témoignent ces trois stations dans l’Ouest de la Russie, en Biélorussie et en Crimée. | (© URSANAV)

Dans le même temps, la Chine, l’Iran, la Corée du Sud (dont le voisin du Nord ne cesse de brouiller le GPS) et quelques autres pays ont maintenu leurs bonnes vieilles chaînes Loran-C.

La Russie est donc de ceux-là avec son système Chayka. Car, sa stratégie consiste à délibérément se passer du GLONASS en opérations lorsqu’elle souhaite brouiller le GPS et Galileo.

Par l’infrastructure terrestre Loran-C en Russie, Biélorussie et Crimée, les Russes assurent sur un rayon de près de 1 300 kilomètres un positionnement d’une précision horizontale de 20 mètres, pouvant être augmentée dans des conditions optimales à 5 mètres en eLoran.

Les fréquences utilisées nécessitent de disposer des récepteurs adéquats ce qui n’est pas évident pour les Occidentaux qui se sont largement débarrassés de leur matériel ces dernières années.

Cette portée terrestre qui couvre toute l’Ukraine monte à plus de 1 600 kilomètres sur mer. Où l’on voit que l’annexion de la Crimée en 2014 et l’offensive sur la côte ukrainienne depuis le début de la guerre actuelle ont pour résultat de transformer la mer Noire en mer russe.

À un détail près, les détroits que la Turquie a fermés le 28 février. Une histoire vieille comme les empires russe et ottoman.

O.C.

P.S. Mon blog Route fond continue sur cette page Olivier Chapuis .

Celle-ci héberge non seulement les nouveaux articles mais aussi tous ceux publiés sur Route fond depuis le premier, mis en ligne le 1er décembre 2008.

GPS RUSSIE NAVIGATION ÉLECTRONIQUE EMBARQUÉE