L’IMOCA et The Ocean Race reviennent sur la course autour du monde en équipage qui a révélé nombre de marins français, de la première édition de la Whitbread en 1973 à la dernière de la Volvo Ocean Race en 2017-2018.
Souvent dominés dans les tours du monde en solitaire ou en double, tels que le Vendée Globe ou la Barcelona World Race, les marins internationaux ont parfois tendance à oublier que les Français ont aussi souvent brillé en équipage.
Côte d’Or mené par Éric Tabarly lors de la préparation de la Whitbread en 1985. | CHRISTIAN FÉVRIER
Voiles et Voiliers. Modifié le 28/04/2022 à 08h10
La liste est impressionnante. Ce n’est pas un inventaire à la Prévert… mais Éric Tabarly, Olivier de Kersauson, André Viant et ses filles Sylvie et Bénédicte, Bernard Deguy, Éric Loizeau, Philippe Poupon, Lionel Péan, Florence Arthaud, Christine Briand, Halvard Mabire, Isabelle Autissier, Sébastien Josse, Pierre Mas, Jean-Yves Bernot, Christine Guillou, Hervé Jan, Alain Gabbay, Michel Desjoyeaux, Jean Le Cam, Roland Jourdain, Eugène Riguidel, Sidney Gavignet, Jacques Vincent, Franck Cammas, Jean-Luc Nélias, Charles Caudrelier, Pascal Bidégorry, Kevin Escoffier, Jérémie Beyou, Marie Riou, Nicolas Lunven, Anthony Marchand… ont au moins un point commun : elles et ils ont disputé la course autour du monde en équipage.
La France est la deuxième nation la plus représentée
À noter enfin que la France est la seconde nation la plus représentée depuis le début de l’épreuve il y a presque 50 ans. Un signe… Et quand on commence à évoquer les souvenirs, certains ne sont pas piqués des vers.
Pen-Duick VI au passage du cap Horn en 1974. | BERNARD DEGUY
En 1973, je dispute la première étape sur Kriter avec Michel Malinovsky
« En 1973, je dispute la première étape sur Kriter avec Michel Malinovsky comme skipper et Jack Grout comme armateur.
Vu l’ambiance à bord, je prends mon sac et embarque pour la deuxième et troisième étape sur Pen Duick VI avec Éric Tabarly » raconte Bernard Deguy, ancien capitaine de l’Alcyone du commandant Cousteau et qui, à 83 ans bon pied bon œil, vient de boucler une énième transat sur un bateau de série de 8,50 mètres.
« Je vends ensuite ma part de la propriété familiale qui ne représente même pas le quart de Neptune, le bateau que je viens d’acheter. Je m’endette donc.
À l’époque, on fait ça avec des bouts de ficelle. J’ai 37 ans et en charge toute la gestion du projet.
Je n’ai pas conscience de ce que représente le tour du monde.
J’ai trouvé la première Whitbread Round the World Race avec Tabarly relativement facile, et donc je ne vois pas la difficulté de la refaire avec des amis et des membres de ma famille.
Je pense que si on a pu gravir le mont Blanc ensemble, on va aussi pouvoir faire l’Everest »
100 bouteilles de vin par étape !
Avant le voyage, Bernard Deguy décide de constituer un comité de lecture avec le futur académicien, Bertrand Poirot-Delpech, et son cousin Michel Deguy, philosophe et poète.
« Quand nous sommes partis de Saint-Malo pour aller prendre le départ à Portsmouth, chacun des dix équipiers a reçu gracieusement dix livres à, charge de les lire, ce qui aujourd’hui sur The Ocean Race, serait juste impensable !
On a également 400 bouteilles de vin, soit 100 par étapes, dont un grand cru de Bordeaux offert par l’un des beaux-frères de Valéry Giscard d’Estaing. »
À bord de Neptune au cap Horn lors de l’édition 1977-1978. | BERNARD DEGUY
Demande en mariage à Cape Town
Éric Loizeau, jeune marin talentueux, a embarqué sur Pen Duick VI afin de faire ses classes avec Éric Tabarly, avant de devenir skipper de Gauloises 2 (ex Pen Duick III) lors de la Whitbread 1977-1978, puis de Gauloises 3 quatre ans plus tard.
Lors d’une escale en Afrique du Sud en plein apartheid durant le Triangle Atlantique, course de préparation avant le tour du monde, il est abordé par une jeune femme.
« Elle est étudiante, fille unique de médecins afrikaners, et me demande de l’épouser, pas pour de vrai…
En effet elle veut profiter de cette promesse de mariage avec un jeune Français pour quitter son pays et cette politique raciale qui la révolte…
Ainsi, quelques jours plus tard, nous allons ensemble, nous tenant la main à la mairie du Cap, où je signe quelques papiers afin qu’elle obtienne son visa.
Le jour du départ de la course, nous nous quittons en échangeant quelques doux baisers sous le regard goguenard de mes coéquipiers au courant de l’histoire. »
Gauloises II (ex Pen-Duick III) mené par Éric Loizeau au départ du tour du monde. | CHRISTIAN FÉVRIER
Fin de l’amateurisme et lavage à l’Harpic
« Déjà à l’époque, la Whitbread est une course vraiment internationale, pas du genre « franco -français » mais à la bonne franquette entre le milliardaire et le fauché !
Ensuite, avec la Volvo Ocean Race, on est arrivé dans le professionnalisme, ce qui est très différent de ce que nous faisions » rappelle Bernard Deguy en rigolant.
« On a quitté alors le monde de l’amateur disons éclairé, pour passer à des athlètes super forts et hyper complets dans tous les domaines »
Quelques dizaines de jeunes Français rêvent tout haut de tourner autour du monde.
Ils ont pour nom Olivier de Kersauson, Philippe Poupon, Marc Pajot, Jean-François Coste, Jean-Louis Étienne, et embarquent avec le maître Éric Tabarly.
Un jeune Méditerranéen de 23 ans aux cheveux en bataille, séduit le brasseur 33 Export pour l’édition 1977-1978.
Il se nomme Alain Gabbay. Le bateau mené par un équipage de « doux dingues » n’ayant pas froid aux yeux, est rapidement baptisé « la poubelle jaune » par la presse et les concurrents, vu son état de crasse à chaque arrivée d’étape.
Le ménage ne semble pas la priorité à bord du plan Mauric dessiné en 1968.
À l’arrivée à Rio de Janeiro et avant de partir danser en boîte de nuit, l’équipage « sale comme un peigne » décide de se faire une beauté.
Pas de dentifrice à bord ! Alors, il se lave les dents avec de l’Harpic, détartrant puissant pour WC.
L’histoire ne dit pas comment les gencives et les Cariocas ont réagi, mais Gabbay marque les esprits par son sens de la course, et va séduire trois ans plus tard la marque de Champagne Charles Heidsieck, et construire un bateau spécifique, avec lequel il va terminer second derrière Flyer 2.
« Après ma première expérience sur 33 Export, j’avais compris quelques trucs » raconte Gabbay.
« On a donc posé les bases du professionnalisme. On avait un bateau que nous avions choisi, conçu, fait, dessiné, construit, avec un partenaire qui avait le budget et surtout avec le temps de réaliser une campagne d’essai.
Nous étions assez sereins au départ de la Whitbread en septembre 1981 à Portsmouth.
Il n’y a jamais eu autant de partants : 29 équipages au départ !
J’avais choisi Gilles Vaton pour dessiner Charles Heidsieck III, parce qu’il avait travaillé avec André Mauric et m’avait donné un coup de main sur 33 Export.
Le pont ne faisait que trois millimètres d’épaisseur ! On était déjà obsédé par l’allégement ce qui nous a permis de gagner quasiment 600 kilos en structure.
L’épreuve se courrait en temps compensé. »
Plus tard, Gabbay va lancer Charles Jourdan, et embarquer notamment Florence Arthaud pour sa troisième Whitbread.
À plus de 83 ans, fort de centaines de milliers de milles, Bernard Deguy continue à traverser l’atlantique dans les deux sens… | DR
Un jeune premier : Michel Desjoyeaux
« Ma première rencontre avec Éric Tabarly, c’est avec ses bouquins.
Je dois avoir 10 ou 12 ans, » se souvient Michel Desjoyeaux.
« Mais ma première rencontre physique, c’est plus tard en 1984, à 19 ans, quand Jean Le Cam, qui a fait la Whitbread en 1981, le fait venir chez lui.
Cette année-là, mon copain Roland Jourdain participe à La Solitaire du Figaro, et Pen Duick VI est bateau accompagnateur de la course.
Tabarly cherche des équipiers. Et ce jour-là, Jean me le présente pour que je candidate.
Deux jours plus tard, on fait une petite sortie à Bénodet.
Il y a quelques manœuvres à faire, dont une où l’on a envoyé un grand génois avec point d’écoute en l’air.
On a oublié d’y frapper une seconde écoute. Pour virer de bord, c’est impossible.
Là, je monte jusqu’au point d’écoute en m’accrochant d’une main et de l’autre je fais un nœud de chaise, et hop je redescends.
Éric regarde le truc et dit : c’est bon, on peut virer. Et ben… j’ai été embauché.
Tu apprenais surtout à ne pas t’énerver, et à ne pas avoir peur des éléments.
Je me souviens, dans l’Océan Indien, on était à fond, avec une mer énorme.
On venait d’exploser un spi de plus de 300 mètres carrés. Éric demande : « qu’est-ce qu’il reste comme spi ? ».
Il y en avait un plus petit ou un beaucoup plus grand. Il a dit : bon, ben on va mettre plus grand alors…
Je crois qu’on l’a aussi déchiré plus tard… Il n’y avait jamais rien qui lui faisait peur. »
On connaît la suite. Desjoyeaux dispute deux Whitbread avec son maître, avant de devenir le marin solitaire le plus titré de l’histoire, remportant trois Figaro, Transat Anglaise, Route du Rhum, et deux Vendée Globe.
« Mich Desj » comme nombre de régatiers français fait partie de ceux qui ont connu et la Whitbread baptisée plus tard Volvo Ocean Race et aujourd’hui The Ocean Race, et les IMOCA.
Il n’est pas le seul, car Sébastien Josse, Marc Guillemot, Charles Caudrelier, Kevin Escoffier, Pascal Bidégorry, Jérémie Beyou, Nicolas Lunven… pour ne citer qu’eux, connaissent parfaitement les IMOCA.
Alain Gabbay, grande figure de la Whitbread et qu’il a disputé à plusieurs reprises. | CHRISTIAN FÉVRIER
Jérémie Beyou : « une course addictive ! »
Jérémie Beyou, lui aussi triple vainqueur de La Solitaire du Figaro, a disputé et gagné la dernière Volvo Ocean Race en 2017-2018 sur Dongfeng Race Team mené par Charles Caudrelier.
« Je me suis vite rendu compte que c’était une course addictive, ce que m’avait dit Carolijn Brouwer (équipière à bord).
J’ai fait pas mal d’équipage à une époque… et ça fait du bien d’y revenir.
T’es là que pour naviguer, que dans le sportif, la météo.
Il ne se passe pas une minute sans qu’on ne reprenne pas un centimètre de ci, qu’on ne choque pas un centimètre de ça.
En fait, c’est un peu un retour aux fondamentaux de la voile, avec la synergie barreur-régleurs »
Charles Caudrelier, dernier Français vainqueur de la Volvo Ocean Race, désormais baptisée Ocean Race. | DIDIER RAVON
Charles Caudrelier et ses piliers Pascal Bidégorry et Kevin Escoffier
Il est le dernier vainqueur du tour du monde en équipage.
Charles Caudrelier, l’a aussi remporté en 2012 avec Franck Cammas.
Quand on le questionne sur son tandem avec Pascal Bidégorry, le navigateur ayant opté pour une option aussi géniale qu’osée dans le dernier bord vers les Pays-Bas après neuf mois de course leur permettant de gagner, la réponse est limpide : « Pascal a été un peu le noyau dur de notre projet, mais il faut aussi rajouter Kevin Escoffier.
On était la bande de trois, et il fallait que ça marche entre nous. C’est ça aussi The Ocean Race ! »
Et Kevin Escoffier d’ajouter : « ce tour du monde en équipage en IMOCA à foils ça va juste être génial !
J’ai pas mal discuté avec l’architecte Guillaume Verdier. Jusque-là, on optimisait l’aspect structurel et le plan de pont afin que ça fonctionne.
Aujourd’hui, il nous faut réfléchir aussi sur les impacts et donc l’ergonomie, les cockpits fermés.
Sur les VO65, nous étions sous une lance à incendie.
Il nous faut sans doute faire le même passage qu’avec l’automobile ou à une époque le seul objectif était d’aller vite, sans le moindre compromis avec la sécurité. » (Source service presse)
COURSE AU LARGE VOLVO OCEAN RACE ERIC TABARLY CHARLES CAUDRELIER
PHILIPPE POUPON LIONEL PÉAN ISABELLE AUTISSIER FRANCK CAMMAS SÉBASTIEN JOSSE