Accueil Régate  Coupe de l’America

Ça barde sur la Coupe de l’America ! Les régates sont (très) loin d’être en vue mais les coups pleuvent entre les différents intervenants, sur fond de choix de la ville d’accueil.

Installez-vous confortablement dans votre fauteuil, attrapez un paquet de popcorn et éteignez la lumière : on vous emmène au cinéma.

Un bon vieux western joué par des héros en chair et en os, avec espionnage et coups tordus en pagaille.

Une image contenant extérieur, sport

Description générée automatiquement Une image contenant texte, clipart

Description générée automatiquement

Emirates New Zealand a gagné la 36e Coupe de l’America à Auckland, mais ne la défendra pas forcément à domicile. | GILLES MARTIN-RAGET

Gilles MARTIN-RAGET. Publié le 25/09/2021 à 07h01

L’épisode précédent nous avait laissés à Auckland dans la liesse de la victoire d’Emirates Team New Zealand le 17 mars dernier.

Quelques jours plus tard, le Royal New Zealand Yacht Squadron et le Royal Yacht Squadron, choisi comme challenger officiel en remplacement du Circolo della Vela Sicilia (ça part de là !), pondaient un communiqué commun dans lequel ils donnaient leurs principales intentions et quelques dates : on garde les mêmes bateaux dans lesquels on met un peu plus d’équipement monotype, on court en 2024 mais la date et le lieu seront annoncés en septembre. Soit.

Pour 200 millions de dollars au soleil

Mais le texte précisait surtout un sérieux tour de vis dans les règles de nationalité et confirmait les rumeurs selon lesquelles les champions néo-zélandais envisageaient de faire courir la 37e édition de la Coupe de l’America ailleurs qu’en Nouvelle-Zélande.

Une image contenant personne, extérieur, joueur, foule

Description générée automatiquement

Qui dit combat rangé dit armée de combattants. | GILLES MARTIN-RAGET

Sacré pavé jeté dans les eaux du Waitemata Harbour !

Fureur surtout de ceux qui avaient puisé dans leur poche – la ville d’Auckland notamment, ainsi que les contribuables kiwis dans une moindre mesure – pour financer l’organisation de la trente-sixième édition et savaient déjà que le Covid avait transformé leur investissement en opération largement déficitaire…

Qu’ils n’avaient donc aucun espoir de le rentabiliser si la Coupe partait à l’étranger, emmenée par sa propre équipe.

Là-dessus, tout le monde rentre chez soi pour attendre que les kiwis avancent dans leur recherche d’un site d’accueil qui combinerait à la fois un plan d’eau acceptable, de l’espace à terre pour installer durablement le barnum des quelques équipes participantes et surtout un gros chèque dont on saura plus tard qu’il tournait autour de 200 millions de dollars NZ.

En Irlande, Espagne, Arabie Saoudite ? Patience, le film est loin d’être fini…

Au cours de l’été 2021, le gouvernement kiwi annonce qu’il peut mettre 100 millions, mais pas plus.

Petit à petit, les villes concurrentes sortent du bois et les kiwis confirment une short-list de pays potentiels dans laquelle figure le site irlandais de Cork.

Soutenu avec enthousiasme par le ministre actuel des affaires étrangères espagnol, Valencia (Espagne), déjà hôte de deux éditions en 1987 et 2010 est intéressée aussi.

Ainsi que Jeddah, en Arabie Saoudite, qui n’apparaît pas comme la candidate la plus sexy mais certainement la plus puissante sur le plan financier.

Et Auckland bien sûr qui restait sur les rangs, des supporters privés s’agitant en coulisse pour tenter de réunir les fonds nécessaires afin de compléter l’offre gouvernementale néo-zélandaise.

Grant Dalton, entre Charles Bronson et John Wayne

Une image contenant texte, rouge

Description générée automatiquement

L’armée de Grant Dalton soutient son boss qui, lui, flingue à tout va. | GILLES MARTIN-RAGET

Début septembre, la pression monte à l’approche de l’annonce de la ville hôte fixée au 17 du mois.

Et là, çà commence à défourailler à tous les coins de rue, comme dans le meilleur des westerns.

Au milieu de la rue du village et en plein soleil, Grant Dalton.

Avec ses yeux bleus perçants à l’ombre se sa casquette façon Charles Bronson, le personnage est plutôt adepte des méthodes à la John Wayne : on encaisse les coups sans broncher et on redistribue dans la foulée.

On encaisse les coups sans broncher et on redistribue dans la foulée

Peter Dunphy, un industriel kiwi ayant fait fortune dans les pétroles tire le premier.

Il veut bien mettre 80 millions de NZ$ sur la table pour que la Coupe reste à Auckland… mais Dalton doit dégager. Gasp !

Hurlement de vierges effarouchées dans le Team kiwi qui soutient son boss et n’a pas de mal à expliquer que sans lui, il y a belle lurette que Team New Zealand n’existerait plus, qu’il n’aurait jamais engrangé ses deux dernières victoires, que l’argent ne fait pas tout, et autres aimables évidences.

Une semaine plus tard, le sieur Dunphy fait marche arrière : OK pour 80 millions et Grant Dalton peut rester, mais il ne touche pas aux cordons de la bourse.

On voit mal comment ce mariage pourrait désormais fonctionner, mais bon, c’est comme c’est.

Une image contenant extérieur, sport

Description générée automatiquement

Jour de victoire sur les eaux bientôt troubles d’Auckland. | GILLES MARTIN-RAGET

Dans la foulée, Cork, qui a bonne mine dans les paris, prend des coups bas donnés par son propre camp.

Il apparaît que le gouvernement irlandais s’est un peu renseigné, que la bonne affaire proposée n’en serait pas vraiment une et que la note serait beaucoup plus salée qu’annoncé pour les contribuables irlandais.

La presse locale s’empare du bébé, et vas-y que la sauce monte dans les camps de ceux qui ne voient pas pourquoi ils paieraient pour que des milliardaires viennent faire joujou sur leurs foilers en carbone dans leur adorable jardin.

Par les temps qui courent, l’argument est audible.

À Valencia, les choses ne vont pas mieux.

La ville – qui a des mauvais souvenirs financiers de 2007 avec expédition en prison de quelques décideurs pas très réglos à la clef – laisse tomber.

Mais il semble que l’État espagnol soit prêt à reprendre la main en jouant sur l’accueil de plusieurs villes, dont Barcelone.

À Jeddah, silence total : on s’en serait douté.

C’est alors que le New York Yacht Club – qui a rompu son histoire d’amour avec American Magic depuis quelques semaines en annonçant que désormais son champion serait le groupe Stars and Stripes animé par le match racer Peter Canfield (là aussi il doit y avoir un sacré paquet de nouilles en coulisse) – ne se lancerait pas dans une remise en cause du choix des Anglais comme Challenger of Record auprès de la cour suprême de New York.

Heu… c’est à quel sujet ?

Accrochez-vous ça se corse, les Suisses entrent au casting

Quelques jours plus tard, ETNZ dégaine à son tour et questionne la limpidité des intentions de ce qu’il appelle le « Team Dunphy », sous entendant sans rentrer dans le détail que l’offre serait liée à des intérêts étrangers.

Traduisez : un étranger qui aurait tout intérêt à affaiblir ETNZ et éventuellement faire sauter l’accord entre Kiwis et Anglais.

Accrochez-vous, ça se corse !

Donc la question devient : mais qui donc aurait intérêt à se lancer dans une telle histoire ?

Le plan suivant est un long traveling qui parcourt les rives du lac de Genève, avec zooms sur les cygnes, le geyser et les demeures cossues pieds dans l’eau.

Tout est propre et calme, rien ne dépasse. Quelques voiliers naviguent gentiment, c’est charmant.

La caméra passe devant le portail de la Société Nautique de Genève.

Coup de frein, retour en arrière. Genève, la Société Nautique, Alinghi… tout ça ne serait pas un peu à la croisée des chemins de notre histoire ?

Une image contenant bateau, embarcation, course de bateau

Description générée automatiquement

Le calme avant la tempête, dans les rangs kiwis. | GILLES MARTIN-RAGET

Ce n’est pas un secret que le team d’Ernesto Bertarelli aimerait bien revenir dans la Coupe qu’il a déjà remportée à deux reprises, mais que le protocole initial lui coupe l’herbe sous les pieds avec ses règles de nationalité contraignantes.

Ce n’est pas un secret non plus que le team suisse qui navigue à bras raccourcis sur tout ce qui a des foils est pendu à l’annonce du règlement pour se mettre au travail et qu’un des Class America version 2021 serait déjà devenu sa propriété.

Bon, mais de là à aller financer des Kiwis pour que la Coupe soit disputée à Auckland, il y aurait peut-être un pas difficile à franchir.

Pour quelqu’un qui a déjà acheté les forces vives de Team New Zealand il y a vingt ans pour leur piquer la Coupe, cela n’aurait rien de très compliqué.

Le business c’est le business

La scène suivante aurait pu être tournée dans les faubourgs rutilants du sud de San Francisco, au cœur de la Silicon Valley, entre deux assauts du brouillard venu des eaux froides du Pacifique tout proche.

Quel rapport ? Rien.

Il y a juste un trimaran géant vainqueur de l’édition 2010 à Valencia qui traîne par-là, à proximité du siège social d’Oracle, la mega compagnie de Larry Ellison.

Pas vraiment un pote de Bertarelli, mais bon, le business, c’est le business, et quand on se trouve un ennemi commun, on peut toujours envisager de faire cause commune…

Grant Dalton tire sans sommation : un des plus beaux coups tordus de la Cup

C’est alors que la fusillade éclate.

Mitrailleuse à la main tel Rambo dans ses heures de gloire, Grant Dalton tire sans sommation et zigouille d’un trait tous ses adversaires.

Fatigué des lamentations de Peter Dunphy qui pleure pour faire savoir par voie de presse qu’il ne fait que vouloir le bien de la Nouvelle-Zélande et de son team favori, Emirates Team New Zealand balance un communiqué qui va révéler les dessous de l’un des plus beaux coups tordus de la longue histoire de la Coupe de l’America.

Nous vous le livrons in extenso, ça ne fait pas dans la dentelle :

« Hier, M. Dunphy a clairement déclaré dans un communiqué de presse que les affirmations directes d’Emirates Team New Zealand au sujet de ses transactions offshore étaient « fausses ».

Cependant, malgré les demandes privées et publiques de réponses directes, il n’y a eu rien de plus que des déclarations de presse générales et un refus de répondre directement à nos questions précises :

Avez-vous eu un appel avec un membre du NYYC qui est directement impliqué dans l’America’s Cup à qui vous avez demandé son soutien pour déposer une action devant la Cour suprême de New York pour contester la validité du Royal Yacht Squadron en tant que Challenger of Record ?

– Avez-vous informé le membre du NYYC que vous avez le soutien financier d’Ernesto Bertarelli et avez-vous également communiqué avec Larry Ellison ?

– Avez-vous rencontré des personnes qui représentent ou pourraient être considérées comme représentant une équipe rivale ayant l’intention d’entrer dans l’AC37 ?

– Hamish Ross vous représentait-il lorsqu’il a fait pression sur le NYYC par e-mail pour engager une action devant la Cour suprême de New York ? ».

Une image contenant texte, eau, bateau, extérieur

Description générée automatiquement

Sur l’eau c’est du grand spectacle, dans les coulisses c’est moins charmant. | GILLES MARTIN-RAGET

S’il était prévu que la déclaration d’hier soit un démenti, Monsieur Dunphy devrait consulter son registre d’appels zoom et se rafraîchir la mémoire car c’est lui qui a initié l’appel.

Emirates Team New Zealand a été informé en détail de tous les points de discussion immédiatement après l’appel, début septembre, et en possède un enregistrement. » Ambiance.

En outre, Emirates Team New Zealand publie les détails d’un e-mail (daté du 26/8/21) adressé au commodore du NYYC de la part du Dr Hamish Ross avec M. Dunphy (tous deux membres du RNZYS) en copie directe.

Le Dr Ross était officiellement conseiller juridique d’Alinghi lors de leurs campagnes 2003, 2007 et 2010.

L’e-mail décrit clairement leur lobbying intentionnel auprès du NYYC pour intenter une action en justice devant la Cour suprême de New York contre le Challenger of Record, dans le but de perturber intentionnellement le processus de sélection du lieu.

Dans l’e-mail, le Dr Ross décrit sa représentation :

« J’aide un groupe d’éminents Néo-Zélandais qui cherchent à maintenir la prochaine Coupe de l’America à Auckland. »

Il poursuit : « Par mon intermédiaire, le groupe de NZL demande au NYYC Club, dans l’accomplissement de son rôle de supervision, de questionner le RYSL sur sa bonne foi en tant que challenger of Record.

Cela peut nécessiter une interprétation de l’Acte pour apporter une clarification à toutes les personnes concernées.

La première étape consisterait à envoyer une lettre au challenger RYSL et, en cas de réponse non satisfaisante, de demander une interprétation à la Cour suprême de New York.

La recherche d’une interprétation perturberait la sélection du lieu qui doit être annoncée le 17 septembre 2021.

Étant donné que le temps presse, j’ai pris la liberté de préparer une proposition de lettre comme point de départ pour examen.

En supposant que le RYSL ne puisse pas être qualifié en tant que challenger, le défi du NYYC du 7 mai 2021 déposé après celui de RYSL, ferait du NYYC le prochain Challenger of Record, un nouveau protocole devant être convenu entre RNZYS et le NYYC ».

Ce défi a en fait été remis personnellement au commodore RNZYS au nom de NYYC par le Dr Hamish Ross.

Clairement, les actions de Mr Dunphy et du Dr Hamish Ross n’ont pas les meilleures intentions ni les plus honnêtes envers le RNZYS et Emirates Team New Zealand comme ils le décrivent dans leurs communiqués de presse et en public.

Le PDG d’Emirates Team New Zealand, Grant Dalton, déclare : « Emirates Team New Zealand est déçu par les tentatives sournoises et trompeuses de Mark Dunphy de saper le RNZYS, l’ETNZ et le RYS avec ses actions méprisables.

Nous lui avons donné toutes les occasions de nous le dire lui-même, mais il a choisi de ne pas le faire et en ce qui nous concerne cela met fin à un chapitre regrettable de l’AC37.

Nous applaudissons le commodore Culver et le NYYC qui n’ont pas voulu participer et ont rejeté les ouvertures de M. Ross et M. Dunphy ».

Pas mal !

Une image contenant texte, personne, groupe, posant

Description générée automatiquement

Reste à savoir où la Coupe s’en ira, bientôt. | GILLES MARTIN-RAGET

Espionnage, taupe et seulement 26% des contribuables kiwis prêts à payer plus

Tout ceci signifie que – outre le fait que Team New Zealand a une grosse taupe qui travaille pour lui dans le clan adverse, ou du moins un réseau de renseignement carrément efficace – la possibilité qu’Auckland puisse à nouveau accueillir la 37e édition de la Coupe s’éloigne à grande vitesse.

Une étude commanditée par ETNZ montre que seulement 26 % des personnes interrogées seraient prêtes à payer plus d’impôts pour cela.

Donc, l’idée d’une Coupe défendue l’étranger devient incontournable. ETNZ et RYS n’ont eu d’autre choix que d’annoncer le 17 septembre qu’ils étaient contraints de repousser sine die l’annonce du plan d’eau sur lequel serait disputée l’AC37.

Ils sont donc obligés de repartir en pêche, notamment vers les candidats déjà connus pour arriver à un accord, Quitte à baisser leurs prétentions financières.

On ne sait pas où se tiendra la coupe, quand, avec quelles règles, avec combien d’équipes et avec quels bateaux

Comme l’indique Max Sirena, le patron du défi italien qui est resté en dehors de la bagarre mais a eu la justesse de vue de rapatrier tout le matériel de l’équipe Luna Rossa en Sardaigne (à la différence d’American Magic et Team Ineos qui ont tout laissé à Auckland mais ne pourraient aller s’y entraîner, les récents confinements dus au Covid ayant repoussé de plusieurs mois toute possibilité d’entrer dans le pays) : 

« Les Néo-Zélandais sont doués pour beaucoup parler et ne rien dire. On ne sait pas où se tiendra la Coupe, quand, avec quelles règles, avec combien d’équipes et avec quels bateaux ».

Voilà qui a le mérite d’être clair.

COUPE DE L’AMERICA TEAM NEW ZEALAND GRANT DALTON 75 AUCKLAND