http://www.jim.fr/e-docs/00/02/B1/2C/carac_photo_1.jpg Publié le 03/03/2019

La population US vieillit, avec en parallèle une hausse de la maladie d’Alzheimer qui reste, à ce jour, sans approches préventives ni thérapeutiques efficaces. De nombreux individus concernés sont à la recherche d’informations, sans toujours bien connaitre la qualité de leurs sources. On remarque, ainsi, une augmentation préoccupante de la « pseudo médecine ». Celle-ci concerne des données médicales complémentaires, souvent énoncées comme « scientifiquement prouvées » mais avec un manque flagrant de preuves de leur crédibilité.

Les professionnels de cette « pseudo médecine » s’intéressent à des problèmes de santé réels, parfois graves, mais mettent en avant des témoignages individuels qu’ils présentent comme autant de faits bien établis, font la promotion de traitements non avérés scientifiquement et, in fine, réalisent de substantiels gains financiers.

Dans le cadre des maladies neuro-dégénératives, un des exemples les plus flagrants de « pseudo médecine » est la promotion de suppléments diététiques visant à améliorer la cognition et la santé mentale. Cette industrie, relayée par différents médias (chaines de radio et de télévision, internet…), réalise un chiffre d’affaires annuel de $ 3,2 billions. Or, à ce jour, aucun supplément diététique n’a fait la preuve d’une quelconque action préventive sur le déclin cognitif ou la démence. Les consommateurs de ce type de compléments ignorent qu’ils ne sont pas soumis, non plus, à l’approbation de l’US Food and Drugs Administration quant à leur efficacité et leur tolérance.

Or, certains peuvent se révéler dangereux, comme ceux à base de vitamine E qui majorent le risque d’accident cérébral hémorragique et, à fortes doses, la létalité. L’Alzheimer Association soulignent ces pratiques, souvent coûteuses, reposant plus sur des témoignages individuels que sur des faits scientifiquement prouvés. Elles ont aussi pour effet négatif de prendre un temps utile au malade, et à son médecin, avant de se diriger vers d’autres modes de prise en charge. Les malades et leurs aidants doivent faire face à des techniques de promotion et de vente élaborées. A leur propos, R.Feynman a proposé le terme de « cargo cult science», que l’on pourrait traduire par la science du « culte du fret ».

La « cargo cult science »

Il s’agit là de pratiques apparues dans des sociétés tribales à la suite de rencontres avec des cultures technologiquement avancées. Elles s’accompagnent de preuves d’apparence scientifique mais manquent de fondement et de rigueur. Elles sont sans valeur mais peuvent générer des gains financiers considérables pour leurs promoteurs.

Nombre d’entre elles concernent le champ des maladies neuro-dégénératives. Elles peuvent aller jusqu’à proposer une nutrition intra-veineuse particulière, une détoxification personnalisée, une chélation thérapeutique, une antibiothérapie, voire un traitement par cellules souches… Toutes ces interventions n’ont pas de mécanisme physiopathologique bien établi, sont en règle couteuses et parfois potentiellement dangereuses.

De la même façon, plusieurs protocoles souvent très détaillés ont été récemment proposés pour combattre le déclin cognitif, aidés de données issues parfois de journaux médicaux mais avec, là encore, une science de type « culte du cargo »,un manque flagrant de participants, de randomisation avec groupe contrôle ou présentant des limites méthodologiques patentes. Or ces études de faible qualité scientifique sont souvent publiées dans des journaux ouverts, non contrôlés. En outre, cette « pseudo médecine » est souvent éthiquement discutable. Elle offre un espoir, souvent transitoire, à des malades parfois en état grave, voire incurables ; elle n’est, tant sur le plan éthique que médical ou financier, pas neutre pour les patients et leurs aidants ; elle n’apporte généralement que des bénéfices illusoires.

Comprendre et établir un dialogue constructif

Les professionnels de santé doivent se tenir informer des prestations de ce type. En cas de demande émanant du patient ou de sa famille, ils doivent procéder par étapes :

– comprendre les motivations sous-jacentes, se résumant souvent dans l’espoir d’obtenir de meilleurs soins, voire une guérison ;
– apporter une information scientifique honnête, avec des preuves avérées, en y incluant les risques iatrogènes potentiels et les coûts financiers des interventions de type « pseudo médecine ». Cette approche a le mérite d’établir un dialogue constructif et est préférable au refus systématique d’aborder ce genre de questions ;
– bien nommer les interventions de « pseudo-médecine » par leur nom ;
– distinguer les seuls témoignages des faits scientifiquement établis ;
– informer sur les intérêts financiers en jeu ou la notoriété temporaire liée à de telles pratiques ;
– rappeler le rôle de la FDA qui est la seule institution à même de tester et de réglementer en matière de santé ;

– en dernier lieu, faire part de sa volonté, en tant que médecin, de continuer à aider à la prise en charge du malade, même si leurs avis et opinions divergent sur le recours à de la « pseudo-médecine ».

Il est désolant que les patients déments et/ou leur entourage puissent être la cible de telles pratiques. Les médecins ont un devoir éthique de protéger leurs patients les plus vulnérables. Beaucoup doit être fait, au niveau national, pour limiter l’impact des affirmations sur les bénéfices théoriques d’interventions non efficaces. Les cliniciens ont dans l’obligation de différencier témoignages et « cargo cult science » des faits tirés de la recherche médicale. En opposition avec les forces, non éthiques, tendant à promouvoir la « pseudo-médecine », la communauté médicale bien éduquée, mais aussi celle des malades et de leurs proches, doit être le point de départ pour combattre de telles pratiques.
Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE : Hellmuth J : The Risk of Pseudomedecine for Dementia and Brain Health. View Point. JAMA 2019. Publication en ligne le 25 janvier 2019.

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