https://www.jim.fr/e-docs/00/02/BE/F8/carac_photo_1.jpg Publié le 17/10/2019

Paris, le jeudi 17 octobre 2019 – La première lecture du projet de révision de la loi de bioéthique s’est achevée à l’Assemblée nationale par un vote solennel ce mardi 15 octobre. Les premiers débats ont mis évidence les lacunes du texte qui s’est refusé notamment à aborder la question des tests génétiques au sens large.

Ces discussions ont également suggéré le peu de latitude dont paraissent bénéficier les élus pour introduire des sujets absents : ainsi à la demande du gouvernement l’Assemblée a rejeté un amendement déposé par le généticien Philippe Berta (Modem) qui visait à permettre le dépistage de la trisomie 21 dans le cadre d’une Fécondation in vitro (FIV) avant réimplantation de l’embryon.

Des programmes courants à l’étranger

Cet exemple laisse peu d’espoir que s’ouvre une discussion constructive autour des dépistages préconceptionnels. En France, les couples n’ayant pas donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique grave autosomique récessive ne peuvent avoir accès aux tests qui permettraient de déterminer s’ils présentent un risque de concevoir un enfant souffrant d’une telle pathologie.

Ce type de dépistage préconceptionnel existe pourtant dans de nombreux pays d’Europe et aux États-Unis, notamment pour la mucoviscidose, le syndrome de l’X fragile, la maladie de Tay-Sachs, la maladie de Canavan, la dysautonomie familiale ou encore la bêta-thalassémie.

Ainsi, l’un des plus anciens programmes de ce type concerne cette dernière maladie et a été mis en place en Sardaigne en 1977. Les bilans de ce dispositif ont mis en évidence qu’en quinze ans, la prévalence de la maladie a diminué de 90 %.

Réticence française

Pourtant, la France s’est longtemps opposée à l’autorisation de ce type de test. Par deux fois, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est ainsi prononcé contre ce dépistage. Les sages avaient notamment insisté sur le fait que le ciblage de ces pathologies risquait d’accroître l’isolement et la stigmatisation des patients, qui pourraient être conduits à considérer que leur naissance est une anomalie.

Cependant, au printemps 2018, la position du CCNE a évolué. Constatant entre autres le fait que certains couples n’hésitent pas à se tourner vers des sociétés étrangères, encourant alors le risque d’un accompagnement inapproprié et considérant différemment les résultats des programmes mis en place, le CCNE a estimé que l’autorisation des tests préonceptionnels d’une façon rigoureusement encadrée pouvait être envisagée. Cependant, les auteurs du texte de révision des lois de bioéthique ont choisi d’exclure ce sujet de son champ.

Position contrastée

Il faut dire qu’il s’agit d’une préconisation discutée. Ainsi, un sondage réalisé sur notre site du 20 août au 22 septembre 2019 (auprès de 792 professionnels de santé) met en évidence une position contrastée des professionnels de santé.

Ainsi, 16 % se sont déclarés favorables sans réserve à l’autorisation de la recherche de certaines mutations récessives chez des couples ne présentant pas d’antécédent connu (avec toute conception), tandis que 33 % sont en accord avec une telle mesure à la condition qu’une liste précise de maladies éligibles soit établie.

Ainsi, la proportion de praticiens qui accueilleraient positivement une telle évolution (49 %) n’est que faiblement supérieure à celle de soignants opposés à cette perspective (45 %). Par ailleurs, on ne s’étonnera pas de constater que compte tenu de la complexité du sujet, 5 % des participants ont indiqué ne pas pouvoir se prononcer.

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Sondage réalisé sur JIM entre du 20 août au 22 septembre 2019 sur JIM

Hypocrisie dangereuse

Risque d’eugénisme, acceptabilité pour la population, coût : les freins à une adhésion au dépistage préconceptionnel sont nombreux. Cependant, les spécialistes se montrent pour la plupart déçus de la frilosité des législateurs. Ils réprouvent l’hypocrisie d’un silence qui méconnait le contexte international et le fait que certains couples n’hésitent pas aujourd’hui à aller en Espagne pour accéder à ce type de test.

Ils dénoncent l’absurdité de dispositions qui invitent à attendre la naissance d’un enfant gravement malade pour pouvoir bénéficier de techniques qui auraient pu permettre d’éviter cette situation et plus encore l’incohérence d’autoriser des interruptions médicales de grossesse pour des maladies dont le risque aurait pu être dépisté avant toute conception.

Ils s’alarment enfin du fait que le refus de la France de s’emparer du sujet laisse le champ libre à des dépistages sauvages pas toujours bien compris et qui peuvent alors concerner des mutations n’entraînant pas de pathologies graves et/ou des mutations dont le lien avec certains troubles (y compris comportementaux) n’est pas directement étayé.

Pourtant, la littérature scientifique abondante sur le sujet et les exemples étrangers permettent de pouvoir déterminer un cadre qui permettrait tout à la fois de répondre aux attentes des familles et d’assurer l’acceptabilité de ces tests d’un point de vue éthique et sociétal. Le président de la Société française de la médecine prédictive et personnalisée (SFMPP), le professeur Pascal Pujol (CHU Montpellier) s’est déjà exprimé à plusieurs reprises sur les gardes fous qui permettraient d’éviter le risque de « dérive eugénique ».

« L’autonomie absolue du couple » est le premier pré-requis : le dépistage préconceptionnel ne doit jamais être imposé. « Il faudra faire extrêmement attention à la notion de maladie grave et incurable et ne pas déroger à cette définition » insistait-il encore l’année dernière auprès du journal 20 minutes, alors que la SFMPP considère que le dépistage préconceptionnel devrait aujourd’hui concerner la mucoviscidose, l’amyotrophie spinale et la drépanocytose.

Cependant, aux États-Unis d’autres maladies sont également intégrées dans les programmes officiels tandis qu’en 2011 des chercheurs du National Center for Genome Resources à Santa Fe avaient présenté un test pouvant dépister chez des parents porteurs sains les mutations récessives à l’origine de 448 maladies sévères. A cet égard, Pascal Pujol prévient : « Il faut être sûr au niveau des connaissances que la variation génétique provoque un risque très important pour l’enfant à naître. Il ne faudrait pas que ça dérape avec des sociétés commerciales qui proposeraient des tests peu fiables sur toutes les maladies … ».

Si ces différentes observations témoignent de l’existence d’une réflexion déjà élaborée sur le sujet, on ne peut encore que davantage regretter son absence du projet de révision des lois de bioéthique.

Aurélie Haroche

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Impasse majeure dans la conception du projet de loi de bioéthique : les tests préconceptionnels