http://www.jim.fr/e-docs/00/02/A3/6C/carac_photo_1.jpg   Publié le 24/07/2018

Alors que le DSM-5 a déjà inclus la pratique intensive des jeux en ligne comme une problématique psychiatrique à part entière (sous l’appellation Internet gaming disorder) et que la nouvelle mouture de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11, récemment publiée par l’OMS) [1] lui emboîte le pas, des voix s’élèvent contre cette assimilation peut-être trop hâtive d’un comportement fréquent à une maladie, nouvel exemple criant de disease mongering[2] ?

Une inflexion nosographique

Pour deux psychiatres exerçant dans l’état de Nouvelle-Galles du Sud (Australie), le débat mérite en tout cas d’être prolongé, quant à « la validité et l’intérêt » d’identifier cette forte inclination aux jeux (video, en ligne ou pas) à un « trouble de l’utilisation d’un produit » ou à un « comportement addictif. » Plusieurs arguments sont avancés par les auteurs, pour contester cette inflexion nosographique des équipes ayant révisé le DSM et la CIM. D’abord, cette conception pourrait « psychiatriser » la pratique des jeux virtuels en la réduisant à un aspect de dépendance, au risque de stigmatiser les (très nombreux) sujets se livrant couramment à ces jeux video, alors qu’il s’agit souvent d’une « activité normale chez les jeunes », certes non dénuée de risques (en cas de pratique excessive ou de dépendance), mais pouvant aussi apporter aux joueurs certains « bénéfices potentiels» : stimulation cognitive et culturelle, socialisation et intégration à une communauté de joueurs, créativité, renforcement d’une vision « optimiste » et d’une meilleure « régulation des émotions », ce qui représente aussi une connotation « anti-dépressive. » On peut rajouter un effet favorable de cet investissement préférentiel dans le virtuel : empêcher le sujet de s’adonner à des comportements ordaliques dans la « vie réelle », car les conséquences d’un excès de vitesse en conduite simulée sont bien sûr différentes !

Avec un risque de surdiagnostic

Vu la « frontière floue » entre la dépendance pathologique aux jeux virtuels et un « engagement important mais normal » dans une telle activité ludique, et le « seuil relativement bas » pour évoquer un diagnostic « d’addiction aux jeux en ligne », les auteurs craignent donc un « risque de surdiagnostic » conduisant indûment à « psychiatriser et stigmatiser des joueurs normaux. » Et, surtout, un risque de leur imposer des « traitements inutiles comme certains médicaments et des mesures coercitives » pour modifier leur appétence pour les jeux virtuels. Autrement dit : DSM-5, CIM-11… débat reloaded ?

[1] http://www.who.int/fr/news-room/detail/18-06-2018-who-releases-new-international-classification-of-diseases-(icd-11)

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Disease_mongering

Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCE

Dullur P et Starcevic V: Internet gaming disorder does not qualify as a mental disorder. Aust N Z J Psychiatry, 2018; 52: 110–111.

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